Les Arctic Monkeys s’éloignent des côtes du rock anglais pour des contrées américaines plus rugueuses. Depuis qu’ils ont rencontré Josh Homme, le patron des Queens Of The Stone Age (qui a produit leur nouvel album), ils sont moins fluo, plus chevelus, mais toujours séduisants. Rencontre et analyse.
[attachment id=298]En ces premiers jours de juin, l’été est précoce sur Londres. Comme les membres des Arctic Monkeys. Sur la terrasse du très chic club privé proche de la City où ils reçoivent pour des interviews, elles aussi très en avance, les Monkeys, attablés, sont aussi accablés par la chaleur et l’un d’entre eux, le bassiste Nick O’Malley, déclare forfait à cause d’un début d’insolation.
Les coups de chaud, les quatre gamins de Sheffield en ont pourtant l’habitude : de l’embrasement initial, il y a quatre ans, qui vit leurs premières demos s’échanger sur internet à une cadence jamais encore atteinte, jusqu’aux sessions en plein désert californien de Joshua Tree pour le troisième album qui paraît aujourd’hui, la température autour d’eux n’a jamais eu le temps de redescendre. Pire encore pour leur leader Alex Turner : lorsqu’il se chercha l’an dernier un coin d’ombre en compagnie de Miles Kane (The Rascals) au sein du projet récréatif The Last Shadow Puppets, le résultat fut tellement aveuglant qu’il l’obligea à de nouveaux tours de piste en pleine lumière. L’une des chansons les plus impressionnantes du troisième album des Arctic Monkeys a pour titre The Jeweller’s Hands (Les Mains du joaillier), et nul doute qu’à ce stade de sa jeune carrière on peut considérer Turner comme l’un des plus brillants tailleurs de pierres précieuses et de diamants bruts en activité.
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Les deux premiers albums impétueux des Arctic Monkeys, et celui beaucoup plus ouvragé de The Last Shadow Puppets, ont permis tour à tour d’éclairer des facettes qui d’ordinaire se révèlent au bout de quinze ans. Comme la génération connectée à l’ultra haut débit qui l’a propulsé hors des tuyaux, Turner va vite mais vise juste. Il a conservé, malgré l’hallucinant galop qu’il s’impose une espèce de candeur juvénile qui contraste avec la maturité lettrée de ses chansons et la précision souvent troublante de ses textes. Pour lui, plus encore que pour les trois autres, chaque semaine qui passe compte triple et sa vie est désormais écartelée entre New York, où vit sa fiancée présentatrice sur MTV, et Sheffield, la tête dans les nuages orchestraux des Puppets et les mains dans la pâte à modeler des Monkeys. “Il m’est arrivé au cours de la dernière année de me sentir un peu déboussolé, parvient-il à concéder. Je terminais la tournée avec Miles et j’enchaînais le lendemain les répétitions avec les gars, je passais d’une atmosphère un peu irréelle au labeur des compositions, à la préparation d’un album qui s’annonçait comme un saut dans l’inconnu.”
L’inconnu, en l’occurrence, porte un visage et un nom : Josh Homme. Depuis un concert commun à Houston en 2007, le buriné patron des Queens Of The Stone Age s’est entiché des freluquets anglais avec la générosité et la bienveillance d’un oncle d’Amérique un peu gourou sur les bords. Après avoir écouté les demos d’un prochain album aux contours encore très flous, devinant que les singes commençaient à tourner en cage, l’Homme providentiel finit par faire offre de ses rugueux services, assortis d’une condition : jouer à la maison. “Josh nous a dit qu’il ne se voyait pas travailler ailleurs que dans le studio où il a fait tous ses albums, se souvient le guitariste Jamie Cook. Il nous a également demandé de venir les mains vides, d’apporter juste notre instrument favori. C’était très perturbant pour nous, mais on a très vite compris que cette façon un peu brutale d’agir était la plus stimulante d’un point de vue créatif.” Ce dépucelage américain des Arctic Monkeys est aussi celui de leur hôte, qui n’a jamais produit d’autres groupes que le sien.
Dans le studio de Joshua Tree au nom de western chicano, Rancho de la Luna, Homme organise toutefois depuis plus de dix ans d’épiques Desert Sessions où des musiciens aux pedigrees très éloignés, de PJ Harvey à Craig Armstrong en passant par toute la faune “stoner” de l’Ouest américain, apprennent à s’apprivoiser le temps d’une jam à la belle étoile. “On n’est pas le Grateful Dead, prévient le solide gaillard Matt Helders, batteur des Arctic Monkeys. Nos chansons étaient déjà structurées, il n’y avait pas de place pour l’improvisation. En revanche, Josh nous a ouvert l’esprit sur des choses que nous connaissions mal comme le rock psychédélique, Roky Erickson, Astral Weeks de Van Morrison. Il nous a transmis son goût des expériences bizarres, nous a incités à nous éloigner des rives du rock britannique pur et dur où l’on n’a jamais voulu de toute façon s’enfermer.”
Une moitié de Humbug seulement a vu le jour à Joshua Tree, l’autre partie ayant été enregistrée plus tard à New York sous la gouverne plus familière de James Ford, déjà producteur de Favourite Worst Nightmare et de l’album des Last Shadow Puppets. Trait d’union entre ces deux rives, l’ingénieur du son Alain Johannes a été chargé de faire coulisser du mieux possible les atmosphères et d’éviter le syndrome du disque bipolaire qui aurait trahi l’ambition d’origine. Si le futur single Cornerstone et ses accents smithiens porte à l’évidence la marque délicate de Ford, si la griffe Homme se devine derrière le menaçant Dangerous Animals, on reste souvent dans l’impossibilité d’affirmer avec précision la provenance de chansons qui ont pour la plupart des fourmis rouges dans les jambes et un franc désir d’indépendance.
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