Cette année encore, Rock en Seine aura été au centre de toutes les attentions, que ce soit par sa programmation monstrueuse que par la malédiction du dernier weekend d’août qui plane tous les ans sur le parc de St-Cloud. Pour jauger de sa qualité et prendre la température des concerts, rien de mieux que de faire le déplacement au coeur du bouzin.
Positionné à mi-chemin entre la fin des vacances et le début du métro-boulot-dodo, chaque année Rock en Seine fait office de charnière, scellant la boucle des festivals d’été. Chaque année, la programmation est carrée, taillée à l’obsidienne autour de blockbusters internationaux. Chaque année on se surprend à chercher une cohérence entre tous ces groupes, à des années-lumière musicalement les uns des autres, et à évaluer la puissance de frappe des tirs de mortiers qu’ils sont susceptibles de nous balancer à la tronche, ou la sauce indigeste qu’ils essaieront de nous faire avaler de force. Chaque année, on se dit que malgré le bar à eau, l’eau en bouteille aussi chère que la bière est vraiment un pousse-au-crime caractérisé. Et surtout chaque année depuis deux ans, on est tous restés comme des cons à attendre, la boule au ventre, la tête d’affiche de la soirée sans se douter qu’on verrait apparaître quelques minutes plus tard le message tant honni sur l’écran géant : Keep Your Tickets For Refund.
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Mais cette année-là, tout en payant la consigne pour son gobelet eco-cup, floqué du très disco petit samouraï noir, on s’est tout de même réjoui de faire la fête aux années 90. Tous ces moments de catharsis où l’on s’envoyait rageusement un Smack My Bitch Up dans le walkman de Nöel pour oublier ce honteux 6/20 en algèbre, où encore cet automne de 1995 où l’on avait vu deux anglais sonner l’avènement de la brit-pop avec l’emblématique Wondewall. Pas de rancune à ces déboires passés cependant, juste une petite appréhension certainement irrationnelle (ha ha).
Vendredi 28 août : Oasis se sépare, Vampire Weekend recolle les morceaux
Alors qu’on arrive sur le site, vers 15h30, les manettes de fûts, bidons, jerricans pression s’activent déjà tout autour de nous. L’ambiance est détendue, les mines enthousiastes, et l’on est vite pris dans le flow de Just Jack, qui débute son set en toute prestance et raconte des histoires de lads à la Mike Skinner. Puis on passe voir Keane, faux beau gosse de la pop anglaise, qui dégouline sur la scène de la cascade avec ses tubes bien rodés. L’apogée du haut-le-cœur est atteinte avec Somewhere Only We Know, un su-sucre au miel collé aux gencives dont on aura bien du mal à se débarrasser. De l’autre côté de l’expo Rock Art au milieu du site, c’est le rappeur américain Asher Roth qui arrive en sauts groupés, un peu comme un collégien qui vient d’entendre la cloche de 16h30 dans la cour de récré. Les bières circulent et le sale gosse gesticule, organisant sur le vif une sorte de Spring Break américain au parc de St-Cloud, bientôt décoré de capotes dans les arbres et de têtes à chapeaux Heineken. Amy Macdonald débute son set à 18h20, sous de faux airs de vierge effarouchée, et dont les accents folk atmosphériques se propagent doucement depuis la grande scène. On écoute un instant l’air rêveur et l’on se rend au pied de la scène de la cascade où Yeah Yeah Yeahs commence. A mesure que Karen O entonne ses cris hystériques on commence à redouter l’implosion de nos tympans, alors on choisit de garder sagement nos distances.
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Du côté de la scène de l’industrie, les candides phénomènes de Passion Pit triturent leurs moogs et six cordes, et se préparent à rafraîchir les présents de leurs mélodies euphorisantes.
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La touffe de frisottis de Michael Angelakos continue de prendre de l’ampleur, tout comme la popularité du groupe de Boston qui symbolise déjà pour beaucoup l’après-MGMT. Des tubes éthérés mais chiadés, des envolées electro-lounge, des mimiques de geeks dignes de The Big Bang Theory : les quatre Passion Pit ont les arguments pour séduire leur public.
On passe devant Madness qui voit se former un premier rang de chapeaux noirs et de coiffures cimentées au gel pour leur arrivée. Les anglais n’ont pas perdu leur exubérance depuis les années 90, et font tournoyer leurs saxophones et trompettes dans un déluge d’orchestrations festives.
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On va alors lorgner du côté de la grande scène où Vampire Weekend commence à distiller son hymne africanisant Cape Cod (Kwassa Kwassa). Ezra et ses comparses sont d’une bonne humeur communicative et font planer une atmosphère de voyage à mesure que les tubes s’enchaînent : A-Punk, One, Mansard Roof.
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On passe à Bloc Party qui comme d’habitude promet de faire des étincelles. Les guitares sont acides, les beats ravageurs et les bombes dancefloor pleuvent. Le chanteur se permettra même de faire une petite blague prémonitoire : « You have to stay with us ! Oasis is not playing ! They just split up ! » (Il faut rester avec nous ! Oasis ne jouera pas ! Ils viennent de se séparer !).
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D’accord Kele, finalement on veut bien te croire. Puis vient l’heure de la grande déception de la soirée, qui aura vu de frêles jeunes filles tomber dans les vappes au moment de l’annonce de l’annulation d’Oasis, des altercations mouvementées avec les vigiles de sécurité, et le chanteur de Vampire Weekend venu réconforter une fille en pleurs au premier rang. Tant pis pour cette fois, et ce n’est pas la piètre prestation du robot multi-tâche Vitalic qui nous remontera le moral, qui livrera ce soir-là un mic-mac peu consistant de synthés binaires et sans saveur.
Samedi 29 août : Faith No More retrouve la foi
Le jour suivant on commence tout en séduction avec la chanteuse de Noisettes, qui assure le set des anglais, décidément à tout épreuve. Le dernier album le confirme aussi bien que leur récente tournée européenne, les Noisettes sont taillés pour la scène. Une prestation suivie tambours battants par Ebony Bones, la chanteuse farfelue qui donne des baffes visuelles autant qu’auditives. Lutins hyperactifs et malicieux, ses acolytes se démènent autour d’elle dans une chorégraphie haute en couleurs, alors que les choristes la soutiennent puissamment au niveau du chant. Trop même, car Ebony est parfois noyée sous les vocalises un peu envahissantes de ces dernières, même si ce détail ne suffit pas à altérer le carnaval du combo. On arrive donc tout frais pour Dananananakroyd. Les écossais font parler d’eux depuis quelque temps avec des concerts percutants, où ils se livrent à des batailles chewingumesques en courant et sautant sur et en dehors de la scène. « Ils sont fous », me confiait récemment un collègue qui les a vu se déchaîner au Eurockéennes le mois dernier. Effectivement, malgré le départ de Laura Donaghey à la basse, ceux-ci dynamitent le public avec une ferveur incroyable, scindant le public en deux pour le faire se rejoindre, et entretenant un rythme fait de saccades et de riffs de guitare bien sentis.
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Un peu plus tard à la scène de l’industrie, Esser est remplacé au pied levé par Zone Libre vs Casey et B.James, qui se fait un malin plaisir d’agresser son public, armé de textes provocants et de la guitare de Serge Teyssot-Gay. Ce dernier se paye pour sa part de jolis coups de pied sautés, Casey au milieu fait de grands gestes vindicatifs au rythme de son flow et B. James rappe casquette New Era vissée sur la tête avec un air dur et renfrogné à la Notorious Big.
On se dirige ensuite vers The Horrors, alors que les chapeaux porte-bière bourgeonnent un peu partout et que le monster truck aux couleurs d’une boisson énergétique attire de plus en plus de chalands, alors que d’autres font escale au bar à eau pour comparer l’eau en bouteille et l’eau du robinet. Les croque-morts anglais mettent le devant de scène de la cascade en effervescence, mais fournissent un live plutôt plat en regard de l’album, et nous laisse finalement sur notre faim malgré quelques bons moments de symbiose grappillés par-ci par-là au détour des accords plan-plan et des voix lancinantes mais peu envoûtantes.
On passera sur l’embonpoint de plus en plus prononcé de Dexter Holland, ainsi que sur son incapacité latente à faire plus de mouvements qu’un Jean-Paul II en fin de vie, pour se focaliser sur la musique des californiens. On est pourtant content de voir Offspring en concert, dinosaure poussif mais qui a marqué de l’empreinte de son skateboard une bonne partie de la décennie passée. On écoute un titre, puis deux, puis un tube, puis un autre, et puis tout finit par se mélanger désagréablement. Et encore, ce n’est pas tant le fait qu’Holland chante faux qui est le plus pénible, c’est surtout son ton monocorde éraillé de chanteur californien qui tape honteusement et inexorablement sur les nerfs. Une exemple ? Quand celui-ci entame une tentative de solo au piano, toute la foule se met à rire doucement à la prétention d’une telle initiative, et celui-ci ne paraît même pas s’en rendre compte. On aura beau éprouver accesoirement cette petite nostalgie qu’ont les routiers qui retrouvent leur premier 38 tonnes à la casse, la musique d’Offspring a bel et bien vécu, et a du mal à franchir le cap du vingt-et-unième siècle.
Qu’importe, la bonne surprise du jour arrive bientôt avec Faith No More. Un groupe mythique peu connu par la génération des moins de 27 ans, mais qui incarne en la personne de Mike Patton un rock dur et audacieux porté par la voix monumentale du chanteur. Des riffs de black metal passés à la moissonneuse-batteuse, un batteur décidé à exploser ses fûts à grands coups de baguettes puis à les caresser langoureusement, et un guitariste virtuose qui accompagne les balades comme les instants furieux avec la même décontraction nonchalante. Impressionnant. Enfin Birdy Nam Nam clôturera la fin du samedi avec un set explosif comme ils en détiennent le secret.
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Dimanche 30 août : la claque Them Crooked Vultures
Le dimanche démarrera plus tôt pour beaucoup de festivaliers venus en masse apprécier la prestation de Metric sur la scène de la cascade. Au grand dam des fans, ceux-ci n’auront toujours pas rejoué Combat Baby, mais auront tout de même livré quelques belles pépites comme le fabuleux Dead Disco. Un peu plus tard commence le set de Macy Gray, qui enchante tout le monde avec sa voix cassée si particulière dès les premières notes de chaque accord. L’américaine sait toucher au cœur et enveloppe ses mélodies avec une funk-soul du meilleur acabit. Ayant manqué de peu Sliimy, on se tournera vers la grande scène où Jesse le chanteur d’Eagles of Death Metal remue son postérieur en ondulant ses cheveux de Hell’s Angels échappé de prison. Josh Homme ne le rejoindra que plus tard, sur leur tube Wannabe In L.A, avant de quitter la scène sous les acclamations du public, qui avait déjà levé le voile sur l’identité du groupe mystère programmé juste après.
Il s’agissait donc bien de Them Crooked Vultures, la formation rêvée entre Josh Homme, Dave Grohl de Nirvana et John Paul Jones de Led Zeppelin. Leur prestation a finalement dépassé toutes les espérances, avec un gros son métal surfant entre les influences des différents membres du groupe. Une bonne claque au final, qui n’aura pas démérité son titre de tête d’affiche du festival. De l’autre côté, MGMT se prépare à distiller ses mélodies naïves. La foule se masse autour de la grande scène et le groupe newyorkais enchaîne notamment Weekend Wars, Electric Feel avant de finir par Kids, qui marquera la fin du set.
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On s’attendait pourtant à être décus, mais un peu plus tard The Prodigy va mettre tous les tympans sur la même longueur d’onde. En tant que machine de guerre extrêmement bien rodée, les anglais vont donner leur premier coup de semonce en descendant de la scène, et ont été à deux doigts de provoquer une émeute. Le chanteur à la tête de piaf Keith Flint déambule sur la scène en faisant des doigts d’honneur, et le dreadeux Maxim fait des grimaces de sorcier furieux, alors que tonnent les premiers beats de Firestarter, puis un peu plus tard avec Smack My bitch Up, vraie réussite sur scène de la part des electroniciens anglais.
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Toutes proportions gardées, l’écart est malgré tout énorme entre les tubes de l’époque et ceux prétendus du dernier album et cela se ressent cruellement au niveau de la consistance musicale. Ou comme le fait remarquer sur le vif une amatrice de Smack My Bitch Up : « Les nouveaux Prodigy, ça donne envie de faire de l’auto-tamponneuse. » Un point de vue plutôt difficile à contredire au vu de leur concert du soir.
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