Fresque historique, scènes d’action ultrastylisées, amour impossible…Le grand cinéaste hong-kongais revient six ans après
My Blueberry Nights.
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A force de se faire longtemps attendre, Wong Kar-wai
prend le risque de décevoir, de se retrouver en décalage avec le goût de l’époque, le désir du public. Le “moment” WKW, c’était In the Mood for Love, cristallisation par le succès d’années (sauvages) de splendeurs indé confidentielles. Avec 2046 (In the Mood for Love la suite), la magie s’est prolongée mais avec un éclat commercial moindre. Puis la longue attente, à peine troublée par une friandise américaine oubliée (My Blueberry Nights).
Entre-temps, d’autres cinéastes stars occupaient le terrain du cinéma d’auteur international haut de gamme, le cinéma hong-kongais se faisait plus rare, contexte reléguant potentiellement Wong Kar-wai dans la catégorie des has been. Le cinéaste semble donc moins attendu qu’il y a dix ans et à la limite, tant mieux, on peut regarder son nouveau film pour ce qu’il est et pas comme l’événement le plus important depuis l’invention du travelling.
A mi-chemin entre la fresque historique kung-fu à la Zhang Yimou ou Ang Lee et la méditation mélancolique typiquement Kar-wai, The Grandmaster est une superproduction d’auteur. Wong Kar-wai embrasse dans le même mouvement la grande histoire de la Chine de 1936 à 1945 (fin de l’empire, occupation japonaise et guerre mondiale, prélude aux années Mao…) et la relation entre un homme et une femme.
L’homme est Ip Man (Tony Leung), maître de “wing chun” (une variante de kung-fu) et représentant des écoles du Nord, inspiré d’un maître réel qui forma Bruce Lee. La femme est Gong Er (Zhang Ziyi), héritière d’une école du Sud, le “ba gua”, seule experte de la technique mortelle des “64 mains”, personnage totalement fictif. Ip Man et Gong Er tombent amoureux mais ne peuvent se le dire car ils appartiennent à deux clans rivaux qui se battent pour la suprématie du kung-fu.
Mêlant en quelque sorte Roméo et Juliette et In the Mood for Love, Wong Kar-wai déploie cette saga classique à sa façon, complètement singulière : ellipses dans le récit, tristesse latente de héros qui savent qu’ils passent à côté de leur histoire d’amour, morceaux de bravoure formels.
Parmi les mille beautés du film, les combats (tous à mains nues) sont éblouissants, chorégraphies engageant les corps de la pointe des pieds au bout des doigts, rehaussées avec force ralentis ou accélérés. Zhang Ziyi est magnifiée telle une icône hollywoodienne des années 40 (elle porte admirablement la toque en fourrure) alors que Tony Leung vieillit avec une grâce absolue. La photo (due au Français Philippe Le Sourd) invente un chromatisme nocturne gris brun cendré, proche du noir et blanc.
Vers la fin du film, après la guerre, quand les grandes écoles de kung-fu sont balayées par le nouveau monde et que nos héros démunis n’ont plus rien à perdre, Gong Er finit par confier ses sentiment à Ip Man – trop tard, comme souvent chez Wong Kar-wai. Encore une romance non vécue, encore une affaire de temps non maîtrisé qui laisse un goût de cendres (comme la couleur du film). Pourtant, les amants virtuels n’ont pas tout perdu, ils ont perpétué leur expertise de virtuoses, sauvé leur honneur.
Fresque du basculement de la Chine dans l’ère moderne, déferlement ultrastylisé de scènes d’action, chronique d’un amour impossible ou platonique, The Grandmaster est aussi un plaidoyer pour l’exercice et la transmission de son art contre toutes les contingences, y compris celles de l’air du temps, de la gloire et du succès. Nul doute que The Grandmaster est aussi un fier autoportrait en creux.
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