L’errance d’un ouvrier au chômage que sa femme n’aime plus. Un film clé dans l’oeuvre de l’auteur de L’Avventura.
On a coutume de lire que Le Cri marquerait un tournant dans la filmographie d’Antonioni. Et c’est sans doute vrai.
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Il est évident que le cinéaste italien s’y démarque nettement de l’“école” néoréaliste (Rossellini, De Sica), née dans les ruines de la guerre et du fascisme, qui vit ses dernières heures après avoir profondément marqué toute la jeune génération de cinéastes qui va exploser au levant des années 60.
À l’heure où Federico Fellini va bientôt orienter son cinéma vers une description introspective, cocasse et fantasmatique de l’Italie (La Dolce Vita, Huit et demi), Michelangelo Antonioni, lui, se tourne résolument, dans Le Cri, vers le formalisme qui va caractériser tout le reste de sa carrière.
Ses premiers films avaient mis en avant des personnages de femmes. Le Cri met en son centre un homme seul – sujet toujours délicat chez Antonioni, qui n’a jamais caché le léger dégoût que lui inspirait la masculinité. Le film décrit la lente et irrésistible décrépitude et déréliction d’un ouvrier du nord de l’Italie au chômage, que son épouse Irma (Alida Valli) n’aime plus, et sa longue errance dans une plaine du Pô hivernale et dépressive.
D’abord en compagnie de sa fille, puis seul (scène déchirante d’une séparation sans pathos). L’Italie est en pleine reconstruction, mais les ouvriers sans travail semblent perdus, incapables de se retrouver dans les méandres d’une industrialisation qui perturbe les traditions et les institutions, notamment la famille. Où aller, où vivre, comment aimer ?
La plaine du Pô, où Antonioni avait tourné un fameux documentaire (Les Gens du Pô), lui offre des horizons lointains, des lignes de fuites infinies, des perspectives incroyables, dont il se sert pour suggérer par la seule image le désert moral et l’absence de limites qui poussent peu à peu son personnage principal vers un état d’angoisse absolu. L’espace est large, mais Aldo est incapable de bouger, comme tétanisé. Le monde change, pas lui.
Dans sa façon de filmer les routes, les stations-services, les automobiles, Antonioni met aussi l’accent sur l’américanisation malhabile, presque grotesque, de l’Italie. La mondialisation est déjà en marche, mais Aldo vit désormais dans une époque dont il ne connaît pas les nouvelles règles de conduite. Buté, transi, maladroit, il ne sait réagir qu’en victime à la légitime volonté des femmes de s’investir dans le travail, de se libérer de l’emprise des hommes, de se construire comme des individus à part entière.
Le Cri trace aussi le portrait impitoyable d’une société qui avance obstinément, sans jamais se retourner pour vérifier que tout le monde suit… C’est dans ces aspects politiques, sociaux et psychologiques que Le Cri paie encore son tribut au néoréalisme. Moins connu que L’Avventura, La Notte, ou L’Éclipse, Le Cri est un film essentiel dans l’œuvre d’Antonioni.
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