Beak>, nouveau groupe de Geoff Barrow, la tête pensante de Portishead, était en concert mardi dernier à la Maroquinerie, l’occasion pour Les Inrocks de faire le point sur leur premier album, et de jauger la toute première performance scénique du trio de Bristol.
Comment avez-vous décidé de fonder un nouveau groupe ?
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Geoff : C’était très facile, comme : « Tu veux jouer ? – Ouais, ok. »
Matt : Tu es venu me voir dans une boutique.
Geoff : C’est vrai, t’étais debout en face de moi, et je t’ai demandé : « Matt, tu veux jouer ? » (rires)
Comment avez-vous réussi à enregistré un album en 12 jours, est-ce que ça n’a pas été frustrant à un moment donné ?
Geoff : Non. C’était libérateur. On ne l’avait pas vraiment préparé.
Billy : On n’y a pas réfléchi. Le premier morceau de l’album, c’est Beak> qui essaye de jouer de la musique pour la première fois. Ca commence en low-key et ca évolue au fur et à mesure. On a commencé à enregistré l’album, et l’on s’est dit que c’était la meilleure façon de le faire, et au bout de deux ou trois jours, on s’est dit qu’on n’avait pas besoin d’overdub, pas besoin d’écrire de manière traditionnelle, et qu’on pouvait compléter l’album dans un laps de temps réduit. Cela nous a stimulé, c’était plaisant pour nous de se dire qu’on pouvait le finaliser en si peu de temps, sans les restrictions de protocole de la musique pop.
Comment s’est passée l’écriture des morceaux de l’album ?
Matt : Par accident.
Geoff : Oui.
Billy : On avançait chacun avec nos instruments. Si Geoff avait un bon beat à la batterie, Matt au clavier, toujours en improvisant, en construisant petit à petit, avec très peu de discussion et beaucoup de musique.
Geoff : On peut faire plein de sonorités noisy, et c’est vraiment bon, j’aime les trios en général. Matt est aux claviers mais aussi à la guitare.
Billy : C’est mon premier trio musical.
Geoff : C’est vrai ?
Billy : Oui, je n’ai jamais fait de musique à trois avant.
Matt : C’est mon second.
Geoff : Quoiqu’il en soit on est vraiment un groupe uni, et il n’y a pas de leader.
On sent un feeling industriel, une forte empreinte du krautrock de la fin des seventies sur cet album…
Matt : Oui. On n’en a pas vraiment discuté, on aime juste ce genre de musique.
Billy : Je trouve qu’il y a beaucoup d’âme dans cette musique, les gens disent souvent que c’est froid, alors que je trouve ça inspirant.
Est-ce qu’il y a un groupe en particulier qui vous a influencé dans ce sens ?
Billy : Pour moi ça a certainement été Can, je les ai tellement écoutés.
Geoff : Oui, et Plastic People of The Universe !
Matt : J’ai beaucoup aimé The Shaggs.
Billy : L’album Egon Bondy’s Happy Hearts Club Banned de Plastic People of The Universe, qui est un groupe né en Tchécoslovaquie dans les années 70, ou 60 ?
Geoff : Hmm je crois qu’ils ont enregistré l’album en 71, mais n’a été disponible en France qu’en 1978.
Il y a des moments noisy, voire métal sur l’album, vous êtes-vous inspirés de groupes plus pêchus en fuzz comme Sonic Youth ou Sunn O))) ?
Geoff : J’aimerais beaucoup ressembler à ces groupes, car ils sont géniaux, que les gens retrouvent leurs influences dans notre musique, ce serait vraiment génial.
Billy : Oui, on serait en bonne compagnie.
Geoff, cet album de Beak>, c’était une façon de recréer le même type d’univers que pour Dummy, de ténèbres brutes et non polissées, ou c’était juste une expérience totalement différente ?
Geoff : C’était très différent dans la structure, mais aussi accompli l’un que l’autre d’un point de vue créatif, et surtout très positifs pour moi en tant que musicien. Dummy était plus comme une longue agonie, alors que Beak> est plutôt neutre, et beaucoup plus spontané. J’ai été très influencé par Matt et son travail solo avec Team Brick, et par Billy et son groupe Fuzz Against Junk. Beak, de mon point de vue personnel, découle plus de Third que de Dummy, car j’ai essayé pour cet album de poursuivre le sentiment de liberté que j’avais essayé d’atteindre avec Third. Mais bien sûr cela est personnel et je ne peux pas parler pour Adrian et Beth (ndlr : Adrian Utley et Beth Gibbons, les deux autres membres de Portishead).
C’était important pour vous de mettre en vente un coffret spécial en édition limitée, et de le confectionner vous-même ?
Geoff : C’est un très beau coffret n’est-ce pas ?
Billy : Aujourd’hui c’est tellement facile de télécharger un album, et je pense qu’un coffret fait à la main, peint à la main par le groupe est un gage d’éthique vis-à-vis des fans, d’avoir des produits de qualité qu’on vend à un prix accessible. La boîte contient un vinyle 33 tours de l’album, un t-shirt Beak>, quelques photos, un badge Beak>, et c’est agréable à cette époque où tout le monde télécharge tout directement vers son Ipod, et je pense qu’il y a encore des gens qui veulent des produits, parce qu’ils adorent la musique.
Geoff : Oui ! Parce que je veux un grand coffret. (rires)
Matt : Oui, moi aussi je veux un grand coffret !
Vous allez les vendre comme des petits pains ! Un peu comme le coffret The Beatles Remasters…
Geoff : On ressemble beaucoup aux Beatles (rires)
Billy : Oui, je pense qu’alphabétiquement on est très proches.
Geoff : Oui ! On l’est comme Beak> et Beatles (rires)
Matt : On est encore plus connus que Vishnu. Et presque autant que Jésus, même si c’est controversé.
Geoff, pour revenir à Portishead, tu as récemment annoncé vouloir sortir un nouvel album.
Dans le futur, oui.
Est-ce que l’expérience Beak> a changé ta conception de l’enregistrement d’album ?
Geoff : Je voudrais croire que oui. D’une certaine façon, ça a amélioré mon « cerveau musical ». Avec Portishead, on a toujours écrit le plus vite qu’on pouvait, mais on n’arrivait pas à trouver les idées qui nous plaisaient. Si on arrive à trouver un angle, on peut enregistrer un morceau en un jour, sans problème. Et on l’a fait, parfois, on trouve un rythme, et Beth écrivait la chanson dans l’après-midi. Mais d’autres idées ont mis un an, deux ans avant d’arriver.
Des projets pour le futur ?
On commence notre tournée en décembre, donc on passera par Paris à ce moment-là.
On y était : Beak> le 5/10/09 à la Maroquinerie de Paris
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La Maroquinerie est bien calme ce soir là quand le tryptique de Geoff Barrow commence à préparer minutieusement son matériel : Billy Fullet du gang saturé Fuzz Against Junk accordant sa basse, Matt Williams de Team Brick bichonnant ses Korg à la manière d’un horloger suisse et Geoff Barrow, tête pensante de l’emblématique Portishead, scrutant les moindres recoins de sa batterie. L’enceinte du restaurant n’est pourtant pas habituée à recevoir des invités aussi bruyants, et le parquet n’allait pas tarder à trembler sous les coups du trio. On nous avait bien prévenu que leur génèse prenait sa source dans un élan spontané de créativité, qu’il fallait s’attendre à un coup de fouet intrépide qui enverrait valser tout ce qu’on connaissait, ou presque. Beak>, donc, représente une bouffée d’air dans la carrière des trois musiciens anglais. Fruit défendu d’une fusion presque organique entre ses membres, le groupe n’a pas ou peu été pensé, mais a simplement émergé comme un cri de nouveau-né, enregistré sur le vif en 12 jours, capturé avec sa sève innocente. C’est dans le même esprit spontané que la première piste de leur album éponyme a été composée, alors que les petits génies de Bristol, terre sacrée du (feu ?) trip-hop, venaient d’entrer dans le studio d’enregistrement. Il faut donc croire que l’histoire devait se répéter. Les cheveux en rideau devant les yeux comme pour se protéger de la lumière, on a vu Matt bidouiller ses claviers pour tapisser la mélodie de bips polymorphes, alors que Billy faisait tonner sa basse punk et insolente sous les discrets accompagnements de Geoff.[attachment id=298] Tout en envolées vigoureuses, la musique de Beak> s’est mise en place, confirmant nos premières impressions à l’écoute de l’album. On y entend Can, Mogwai ou encore Kraftwerk qui partirait en mission commando avec Massive Attack. Mais si les pontes du krautrock laissent planer leur héritage, des percées noisy font également leur apparition, comme par exemple lorsque le machiniste Matt Williams délaisse ses claviers et passe à la guitare : un boucan de tous les diables. On ne s’attendait pas non plus à voir s’immiscer une atmosphère aussi sombre, alors qu’à 19h le soleil était encore haut dans le ciel. Seule ombre au tableau : la prestation contrastait parfois avec l’ambiance cosy des lieux, et aurait gagné à avoir lieu à la pénombre d’un huis clos. Peu importe, finalement. Malgré cette légère anicroche dans la mise en scène, on ne boudera pas une seconde notre plaisir. On a maintenant la certitude qu’assister au tout premier concert de Beak>, et selon toute vraisemblance le premier d’une longue série, est un privilège qui ne se refuse sous aucun prétexte.
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