Dernier film, émouvant et d’une légèreté de trait inaccoutumée, du cinéaste grec disparu l’an dernier.
Présenté en compétition au Festival de Berlin en 2009, La Poussière du temps est le dernier film de Théo Angelopoulos, mort il y a
un an après avoir été renversé par une moto dans une rue du Pirée, pendant le tournage de ce qui aurait dû être son film suivant.
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La Poussière du temps est un film éclaté – dans l’espace et dans le temps.
Il raconte, sur plusieurs décennies, à coups de flash-backs ou flash-forwards incessants, comme le flux et le reflux qui ramèneraient les souvenirs à la mémoire, l’histoire d’une femme, Eleni (Irène Jacob, la plupart du temps), tiraillée entre deux hommes, un Grec, Pyros (Michel Piccoli), et Jacob, un Juif russe (Bruno Ganz) qui migrera vers Israël, laissant Eleni rejoindre son mari Pyros aux États-Unis.
Il met aussi en scène un metteur en scène américain, A (Willem Dafoe), le fils de Pyros et d’Eleni, venu à Rome tourner un film qui semble problématique. Ses parents et son “oncle” Jacob lui rendent visite, sa femme l’a quitté (il l’aime encore), sa fille a fugué, semble-t-il.
On voyage dans tous les sens de la Russie de la fin du stalinisme à Berlin aujourd’hui, mais le passé ne passe pas, les blessures ne cicatrisent jamais (Jacob âgé, retrouvant Eleni vingt ans après leur liaison, ne peut s’empêcher de continuer à lui crier absurdement “Ne t’en va pas”), c’est très beau, Angelopoulos maîtrisant toujours aussi bien son cinéma, les mouvements de foule comme les scènes plus intimes, raccourcissant aussi, semble-t-il, ses fameux plans séquences qu’on avait pu par le passé juger pesants, très pesants. À 76 ans, il semblait opter pour plus de fluidité, de légèreté dans le trait, de liberté dans le récit aussi.
Il y a dans Poussière du temps, peut-être aussi grâce à ses acteurs, des plans qui rappellent le meilleur Ferrara, étrangement. Et puis des images, des plans, des scènes d’une puissance émotionnelle dont on a du mal à saisir la raison pour laquelle ils nous bouleversent autant, comme ce décor désolé, jonché de restes de statues abattues après
la mort de Staline, où l’on retrouve un orgue en parfait état de marche alors que personne n’en a joué depuis très longtemps, et sur lequel un organiste tout d’un coup fait revivre un air de Bach. Miracle des guerres, qui détruisent tout, mais justement pas tout : avec le temps, la beauté repousse toujours à travers le bitume.
C’est le dernier film, le dernier soupir, la dernière confession de Théo Angelopoulos : la poussière du temps recouvre le présent, pour le meilleur et pour le pire.
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