Promenade fantasque dans le cerveau névrosé d’une mère de famille.
On se plaint trop de l’immobilisme de la comédie française, de sa manière de tout conformer, de tout ordonner (les genres comme les classes sociales), pour ne pas célébrer le cinéma bordélique de Brigitte Roüan.
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Chez la très rare actrice-réalisatrice, auteur du mémorable Travaux, on sait quand ça commence… (2005), un film est ce lieu unique où les antagonismes s’apprivoisent, de préférence dans un lieu clos aux murs instables ; cet instant éphémère où, par la simple féerie du cinéma, tout et son contraire s’unissent dans un brassage euphorique : vieux et jeunes, beaux et moches, sans-papiers et bourgeois, acteurs ringards et newcomers, Blake Edwards et Pierre Richard…
Un cinéma utopique, en somme, qui trouve avec ce dernier acte, joliment titré Tu honoreras ta mère et ta mère, sa destination privilégiée : la Grèce, sa crise contemporaine et ses vieilles mythologies, dont Brigitte Roüan va faire le théâtre mi-comique, mi-angoissé, d’une tragédie familiale.
Tout commence sur un air de film de vacances inoffensif, avec l’irruption au cœur d’un petit village d’une retraitée hyperactive baptisée Jo (Nicole Garcia, à la limite de l’implosion), en charge d’y organiser comme chaque été un festival culturel pour lequel elle convie sa tribu, quatre grands fils aux trajectoires diverses, leurs femmes et toute une flopée d’enfants.
Il suffit alors à la cinéaste de réunir ce petit monde dans un lieu unique, d’agiter le tout et d’enclencher enfin sa mécanique du désordre, où les affects s’emballent et où les vieilles rancœurs familiales ressurgissent.
Dans ce chaos généreux et collectif, proche du théâtre de boulevard, Brigitte Roüan organise une série de petites confrontations et d’accidents comiques frisant parfois la surchauffe (le mauvais running gag d’Emmanuelle Riva en pythie décorative), tandis que le récit se recentre sur le personnage de Jo et dévoile par à-coups son secret.
Car le vrai bordel est ici celui qui agite le cerveau d’une mère trop aimante, maladivement aimante, une femme incapable de dénouer les liens qui l’unissent à ses vieux garçons, et dont le film va épouser au plus
près les angoisses.
Il le fera sans recourir aux dialogues, c’est là sa force, mais en brodant une mosaïque de plans schizo et d’images mentales tour à tour ridicules ou bouleversantes – ainsi que peuvent l’être les passions d’une mère. Ce sont des souvenirs d’enfance qui se collent à l’image en surimpression, des chevaux qui galopent vers le ciel ou des cauchemars sanglants et baveux sur un fils parti à la guerre (Gaspard Ulliel), autant de dérèglements psychiques qui contaminent le film et troublent souterrainement la comédie.
Au terme de ce délire exaltant, Brigitte Roüan aura filmé la rupture émancipatrice d’une famille et réussi une opération plus précieuse encore : injecter un peu de fantasme et de tumulte dans le paysage normé de la comédie française.
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