Lâché par ses Strokes, l’icône absolue du néo-rock Julian Casablancas a fini par se résoudre à se lancer en solo. Nous l’avons rencontré pour un long entretien, fin octobre à L.A. : ses ressentiments, la crise de son groupe, ses évolutions intimes, son Phrazes for the Young, il raconte tout. (photos : David Balicki)
Comment te sens-tu, psychologiquement, physiquement ?
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Psychologiquement, bien. Mais dans une période émotionnelle complexe à analyser, où tout se mélange : je suis un peu excité, un peu anxieux, un peu débordé… J’essaie juste de bien faire les choses, et j’essaie de le faire au maximum. J’ai un pied dans la porte : je fonce tant que personne ne me dit « arrête, mec, ça ne vaut pas le coup de faire ce que tu fais »… J’ai donc un peu l’impression de tout ressentir en même temps. Physiquement, ça va : le temps de L.A. permet de rester plutôt en forme.
Tu vis donc désormais à Los Angeles ?
Techniquement, non, je vis encore à New York. Mais je passe pas mal de temps ici, pour bosser essentiellement : j’y ai enregistré des morceaux de l’album, j’y ai répété, je vais y faire des concerts… Tout est également moins cher, ça joue un peu. Je n’ai pas encore déménagé. Je suis tenté, mais je ne l’ai pas encore fait.
[attachment id=298]Pourquoi cette tentation, justement, toi qui est tellement lié et associé à New York ?
La météo, évidemment. J’enfonce des portes grandes ouvertes, mais c’est le cas. Si cette ville n’existait pas, je crois que personne ne pourrait croire qu’il existe un endroit sur terre où le temps est si clément, exceptionnel et régulier. Toujours parfait. Le paradis de la météo. Mais il reste quand même des choses qui me raccrochent à New York : là aussi, c’est une évidence, mais l’énergie que développent les deux villes est très différente. Il y a une électricité, à New York, et au sens littéral du terme, qu’on ne retrouve pas de la même manière ici, pas sous la même forme. Le débat L.A. vs NYC est vieux comme les Etats-Unis, et il fait toujours plutôt rage ; mais il ne devrait pas avoir lieu, les deux villes sont fantastiques, et différentes. Je sais, pour les Français, que ça ressemble à du patriotisme un peu con, mais c’est génial d’avoir ces deux extrêmes dans un même pays. Et elles continuent malgré leurs différences à partager un petit quelque chose d’ « américain ».
Ton cœur appartient à New York…
Je ne sais pas. Je suis justement en plein questionnement sur ce que signifie, pour quelqu’un, la notion de foyer. Et sincèrement, je n’ai pas la réponse, les choses sont plus complexes qu’elles ne le semblent. C’est un peu ce sur quoi porte la chanson Ludlow St. (rue du Lower East Side new-yorkais) : nous sommes dans un monde où tout change en permanence, ce que tu appelles ton foyer peut ne plus l’être deux semaines plus tard, ou le devenir pour quelqu’un d’autre, et est-ce ci important que ça… Je ne sais pas, je ne sais vraiment pas. La notion est floue. Surtout aux Etats-Unis, qui n’a pas le même sens de l’histoire que l’Europe : Paris, par exemple, est une ville qui a une très, très longue histoire. Mais New York a quatre cents ans, et Los Angeles cent… Un foyer est quelque chose de plus psychologique que matériel, c’est un truc qu’on décide, ça dépend de l’endroit où on a grandi, des choses que l’on vit. Il y a des chances que je continue à vivre à New York, peut-être à ce moment là je pourrai me dire « ok, c’est mon foyer », et peut-être me dirai-je précisément au même moment que finalement ce n’était qu’une illusion… Bref, je n’ai la réponse à aucune de ces questions, que je me pose.
Visuellement, les ceux villes sont évidemment radicalement différentes ; Los Angeles est basse et immense, New York est verticale et extrêmement dense… C’est quelque chose qui a pu t’influencer, quand tu as enregistré ici ?
C’est la différence entre un œuf dur et un œuf au plat… (rires) Quant à l’influence, Rivers of Brake Lights est sans doute la chanson la plus marquée par L.A. ; mais je n’ai pas réellement voulu donner un feeling « L.A. » à Phrazes for the Young, ça n’a pas été un objectif pour moi. De toute façon, les chansons ont beaucoup été écrites ailleurs qu’à L.A., il y a même eu des choses écrites à Paris, où j’ai accompagné ma femme qui y a pris des cours de pâtisserie… Vous avez une grande tradition de pâtisserie en France, un truc qui n’appartient qu’à vous. Les Etats-Unis n’ont fait que prendre les influences de partout et tout mélanger ; mis à part peut-être le cheesecake et les cupcakes. Les cupcakes surtout. Nous sommes doués pour inventer des trucs qui se tiennent dans une main… Voire dans deux mains, puisque généralement tout est énorme, ici. (rires)
Tu as l’air très fier de ta voiture…
Oui. C’est indispensable ici, évidemment. Tu ne vis pas sans voiture à Los Angeles. Et j’aime conduire, je me sens donc à ma place ici ; quiconque n’aime pas conduire doit absolument éviter L.A. J’ai vu cette voiture dans la rue, une Oldsmobile Cutless de 1992 noire mais customisée avec des bandes jaunes fluo, elle était en vente, elle m’a plu et elle m’a coûté 1000$… Le type à qui je l’ai achetée s’entraînait à peindre des voitures, et était parti pour en faire une caisse à la Fast and Furious : heureusement pour moi, il s’est arrêté à temps… (rires)
Sur un plan personnel, beaucoup de choses ont changé, pour toi ; le mariage, bientôt un enfant… Tu as trente et un an : quelle personne t’imaginais-tu devenir il y a 10 ans, il y a 15 ans, quand tu étais gamin ?
Non, vraiment pas. Et je ne sais pas encore ce que je serai dans quelques années. Tout ce que je sais faire, c’est penser pour les trois prochains jours –je n’ai jamais vraiment été capable de voir plus loin. En revanche, j’ai récemment commencé à comprendre que je vieillissais. Je ne me sens pas vieux, mais j’ai l’impression que je dois commencer à penser à ça, au fait de prendre de l’âge, de vieillir. Je me force parfois à penser à tout ce que j’aime faire en dehors de la musique…
Mais penses-tu, en tant qu’individu, avoir grandi, mûri ? Et qu’est ce que ça veut dire, pour toi, « mûrir » ?
Il m’a fallu pas mal de temps pour penser à ça. Le titre de l’album est sans doute un peu en rapport avec ça. Des sentences pour la jeunesse ; ça a l’air un peu ringard, mais j’aimais l’idée, la phrase. Je ne veux surtout pas que ça paraisse prêchi-prêcha, ou grandiloquent, ou mégalo. Je ne veux pas faire croire que ces textes ont quelque chose de vraiment spécial, ils ne sont dédiés à personne, mais c’est un concept et un titre que j’aimais. C’est lié à des lecture. Et une idée aussi m’est venue avec le temps : le regret que personne ne m’ait dit certaines choses quand j’avais 16 ans. Si j’avais su certaines choses alors, je serais impliqué différemment dans la vie aujourd’hui. Pas forcément pour le meilleur, d’ailleurs…
Peut-être t’es-tu mis dans cette position, de dire des choses à des gens plus jeune, parce que tu vas toi-même être père ?
Non, je ne pense pas : je ne savais pas encore que j’allais avoir un enfant quand je me suis décidé pour ce titre, qui remonte en plus au temps de la confection du dernier album des Strokes. Ok, je sais, cette idée fonctionnerait parfaitement et immédiatement pour ton article… (rires) Mais c’est vraiment pas le cas.
Quelles auraient été les choses qu’on ne t’a pas dites, à 16 ans ? Et qui ne te les a pas dites ? Tu avais ton père, ton beau père…
Je ne sais pas… Je ne veux pas vraiment rentrer là dedans, ce serait un peu ridicule, un peu trop. Et encore une fois, c’est juste des mots qui me plaisaient, le titre est inspiré d’Oscar Wilde, de Phrases And Philosophies For The Use Of The Young. Je ne sais pas s’il est très populaire en France, je sais que vous n’aimez pas trop les Anglais… Et que c’est réciproque. Mais c’est marrant, j’en parlais avec un ami il y a quelques jours, j’ai l’impression que le ressentiment est plus fort du côté anglais. Et je pense qu’il y a une raison simple à ça : les Anglais sont jaloux parce que les Français ont la France. (rires)
As-tu eu peur de perdre quelque chose, avec l’âge ? Ton énergie, une forme d’innocence, par exemple ?
La seule chose que l’on est certain de perdre, c’est le fait d’être « neuf ». Mais chez les artistes, j’ai l’impression qu’il est beaucoup plus facile de vieillir pour un homme que pour une femme. Un homme peut laisser ces choses, la nouveauté, les jeunes années passer, il peut rester cool, et même gagner une certaine classe avec l’âge. Une femme de 40 a plus de mal : on a l’impression qu’elle a vécu ses meilleures années, et que tout ce qui suit est un déclin. Les exceptions sont rares, et c’est assez injuste ; les artistes féminines, avec l’âge, on juste tendance à disparaître…
Tu te vois devenir quelqu’un comme Leonard Cohen ?
Evidemment, ce serait cool. C’est d’ailleurs un peu à lui que je pensais quand je parlais des hommes qui restaient au top en vieillissant –mais bon, comme exemple, on peut difficilement faire plus inatteignable…
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