Un homme et une femme aimantés par magie dans un conte délicat et tragi-comique.
Comment ressortir du phénomène La guerre est déclarée, de son nuage d’éloges pas encore dissipé et de son intimidant succès public ? Attendre, jouer la sécurité, mûrir d’autres projets pour mieux revenir ?
Ce serait se tromper sur l’idée que Valérie Donzelli se fait du cinéma, sur son principe d’urgence et de dispersion, sur son goût du risque qui autorise les ratures et accueille les fulgurances accidentelles. Quelques mois auront ainsi suffi à écrire et tourner ce beau Main dans la main, le troisième chapitre du livre de contes ouvert par l’actrice-réalisatrice en 2009 avec La Reine des pommes, dont on retrouve tous les signes distinctifs, du pêle-mêle facétieux de citations de la Nouvelle Vague (voix off, séquences chantées…) à l’obsession pour le mythe de Roméo et Juliette.
Voilà donc encore une histoire d’amour impossible constellée d’indices autobiographiques, mais ici reformulés par un geste de cinéma fantastique un peu dingue et très exaltant.
Il y est question d’une femme (Valérie Lemercier, odieuse et hypersensible), directrice de l’Opéra de Paris, et d’un homme (Jérémie Elkaïm), petit artisan de province ; deux solitaires à la peau dure qui, par l’envoûtement d’un baiser volé, se retrouveront liés dans la même chair, littéralement collés : chaque geste de l’un entraînant sa répétition par l’autre.
Elle et lui n’ont pourtant rien en commun, ni leur âge, ni leur appartenance sociale, et tout le film va être l’opération ludique, parfois cruelle, du rapprochement de ces courants contraires, la simple quête d’un instant d’harmonie.
Pour apprendre à ne plus faire qu’un, les deux corps maudits devront ainsi s’amadouer, se suivre et se heurter dans une première partie inégale lancée sur la piste d’une comédie slapstick qui ouvre le film dans une humeur flottante et indécise, jamais tout à fait drôle.
C’est qu’il n’y a pas d’amour sans perte ni de comédie sans drame dans le cinéma double et fragile de Valérie Donzelli, qui s’obscurcit de motifs plus tragiques à mesure que la farce progresse : les rapports de classes soudain se révèlent (superbe séquence où Jérémie Elkaïm reprend seul une chorégraphie de Pina Bausch), la fusion du couple devient carnassière, les familles se séparent, la maladie d’un proche resurgit, tandis que la seule perspective qui s’offre aux personnages semble être la fuite.
Étrange horizon pour ce sketch burlesque devenu mélo bouleversant, dont le feu d’artifice en happy end dissimule mal le bruit sourd de ces deux solitudes.