Des lyçéens rentrent chez eux en bus, le soir de leur dernier jour de classe. S’appuyant sur un dispositif ingénieux et faussement superficiel, Michel Gondry fait tomber les masques.
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A l’ombre d’une filmographie prestigieuse, entamée sous les arabesques scénaristiques de Charlie Kaufman (Human Nature, Eternal Sunshine of the Spotless Mind), puis continuée sous les dorures des studios hollywoodiens (The Green Hornet) ou français (son Écume des jours, attendu pour 2013), Michel Gondry trace parallèlement une ligne plus discrète, plus ténue, peut-être la plus stimulante.
Une ligne qui passe par le documentaire (Block Party en 2005, L’Épine dans le cœur en 2009), se fraie un passage dans une drôle de brousse pédagogico-ludique (L’Usine de films amateurs, atelier de cinéma itinérant) et trouve aujourd’hui, dans la roue d’un bus lancé à travers le Bronx, une forme d’aboutissement, une synthèse parfaite entre tous les styles de son brillant dessinateur.
On retrouve ainsi, dans The We and the I, tout ce qui fait la “marque” Gondry, sans avoir pour autant la moindre impression de déjà-vu. Plutôt que de marque, il serait plus juste de parler de “république” Gondry, tant les signes n’y sont jamais figés dans un geste publicitaire, mais perpétuellement remis en chantier, objets de débats qu’on imagine intenses, entre ses jeunes acteurs (amateurs) et lui-même, entre ce “nous” et ce “je” qu’on retrouve dans le titre.
The We and the I donc, c’est d’abord un bus chargé de ramener chez eux quelques lycéens du Bronx, pour la dernière fois avant la prochaine rentrée. L’heure des vacances a sonné, la belle Laidychen prépare une liste d’invités pour sa soirée d’anniversaire, la moins gracile Teresa se fait chambrer sur ses bourrelets et sa nouvelle coupe Lady Gaga, les dragueurs draguent, les portables sonnent et les bullies (les petits durs) font régner leur loi martiale à l’arrière de ce véhicule qu’on ne quittera pas deux heures durant.
On est donc à la fois dans un teen et dans un road-movie, retrouvant tantôt la grâce de la chronique badine à la Dazed and Confused (Richard Linklater, 1993), tantôt la ferveur de l’épopée miniature à la Wassup Rockers (Larry Clark, 2005).
Organisé en trois actes (“The Bullies”, “The Chaos”, “The I”), le film avance cahin-caha, sans dramaturgie surplombante, sans scénario surécrit – qu’il est loin le temps où Charlie Kaufman tenait la barre ! –, simplement avec l’envie de donner à chacun des kids présents dans ce petit théâtre en mouvement son quart d’heure de fiction.
Ce pourrait être mineur, sympathique tout au plus, comme peut l’être un assemblage d’historiettes autonomes filmées par l’as du papier mâché. On le craint d’ailleurs, au début, lorsqu’une petite maquette du bus nous promène au son du Bust a Move des Young MC – la BO, superbe, fait la part belle à ce groupe old school du Bronx, ainsi qu’aux élégies electro de Boards Of Canada.
Progressivement, pourtant, Gondry acquiert de la gravité, dévoile son véritable projet, se démasque en même temps qu’il démasque ses personnages : une perruque vole par-ci, une paire de faux seins par-là ; un quiproquo amoureux finit par tomber, une idylle secrète par être avouée ; et, tandis qu’une jeune fille est “outée”, un couple de garçons nous révèle les règles d’un étrange jeu de rôle auquel ils s’adonnent…
Dans le bus BX 66, tout n’est qu’illusion, postiche et esbroufe – mais pour un temps seulement. D’ailleurs, est-ce bien réaliste, un trajet de bus si long ? Et pourquoi cette vitre est-elle soudain couverte de gouttelettes, alors que le dialogue évoque une “belle journée ensoleillée” ?
C’est que, dans un geste subtilement antinaturaliste, Gondry a l’intelligence d’assumer la superficialité de son dispositif, pour mieux déchirer le voile d’apparence qui recouvre chaque relation, ce vieux drap sale qui empêche d’aller sereinement du nous au je, et du I au we.
Dans un monde où tout circule en permanence et à toute vitesse – les mots, les images, les affects, les bus dans une ville, les gens dans un bus –, il faut, nous dit Gondry, accepter de se laisser conduire, savoir laisser son orgueil au vestiaire comme on laisse, au début du film, son portable à la consigne.
Circulez, nous dit-il, il y a tout à voir.
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