Il y a un an, la Londonienne La Roux sortait son premier single sur le petit label parisien Kitsuné. Elle est aujourd’hui une star planétaire, mais n’a rien perdu de son mordant. Elle revient sur son année tourbillon.
Déjà, l’année finit mal : je suis malade et du coup, je n’ai pas pu venir au festival des Inrocks, une tournée que j’attendais pourtant avec impatience depuis presque un an… J’avais tellement demandé à ma voix toute l’année que je ne pouvais plus chanter, ça devenait dangereux… 2009, à vrai dire, a commencé par la France : il y a un an, je sortais Quicksand sur Kitsuné… La vie était alors tranquille, on pouvait facilement piger ce qu’était la Roux. Je comprenais mieux mes quelques fans d’alors que ceux d’aujourd’hui. Ceux-là, ils ne connaissent que In For The Kill ou Bulletproof, ils ne savent pas d’où je viens, ne comprennent pas l’underground. Je me souviens d’un concert en février à Paris, pour Kitsuné, à La Maroquinerie, qui a été une révélation pour moi : le public connaissait mes paroles, me portait comme plus personne depuis. Car je ne ressens plus ce niveau de ferveur aux concerts, ce public était là pour les bonnes raisons : il avait découvert les chansons sur le net, par le bouche à oreilles, par les clubs… Pas par les grosses radios FM. Ça me brise le cœur quand, dans le public, j’entends quelqu’un hurler “Contente-toi de jouer In For The Kill…” J’ai l’impression d’être sur le plateau de la Star Ac…
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[attachment id=298]Je parais désabusée, déçue mais pourtant, je suis ravie de vivre de ma musique, d’avoir touché le grand public – malgré les sacrifices éthiques que ça implique. Je ne vais pas cracher dans la soupe, ça serait ridicule. Mais cette joie ne m’empêchera pas de regretter cette période légère de l’underground. Jamais je n’ai envisagé ce succès, je ne rêvais pas de me frotter à Britney Spears et les autres… J’étais encore plus têtue qu’aujourd’hui, très attachée à l’underground, une vraie puriste… Je pensais que ma musique ne quitterait jamais les clubs. Puis mes ambitions ont évolué, j’ai commencé à me sentir à l’aise en concert, sur des scènes de plus en plus grandes… Le show a évolué en conséquence. Depuis des années, je me préparais à ça : gamine, entre autres choses inavouables devant le miroir de ma chambre, je m’entraînais déjà à répondre à des interviews… Mais je n’aurais jamais envisagé devenir une pop-star : je me voyais plus en artisane, en songwriter. Il faut dire que j’étais alors un vrai garçon manqué, je passais ma vie à faire du monocycle et à jouer au cricket… Tout ce qu’une fille n’était pas censé faire, c’était pour moi. En me couchant, chaque soir, je savais dans ma tête ce que serait mon futur : la musique. Depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours été certaine que c’était moi contre le reste du monde. Je suis constamment en guerre. Ma mère pense que c’est parce que je suis rouquemoute, que ça a déterminé mon caractère… Cette colère est une bonne force motrice, certes, mais c’est surtout une source constante de tension. Je n’arrive juste pas à baisser mes gardes : il y a toujours une injustice pour me révolter. Par exemple, je viens d’apprendre que la police anglaise a acheté toutes les fréquences hertziennes utilisées par les instruments sans fil – guitares, oreillettes, micros… Eh bien ça, ça suffit à m’empêcher de dormir ! “Bande d’enculés, foutez-nous la paix…” (rires)… C’est comme si j’avais besoin de cette révolte pour me maintenir en vie… Beaucoup d’artistes, quand ils rencontrent le succès, se coupent de ces réalités, s’enferment dans un cocon. Moi, je reste en rogne, ça bout à l’intérieur, je fonce tête baissée, tout en sachant que je n’y changerai sans doute rien… Mais bon, jamais dans ma vie je n’approcherai d’aussi près le pouvoir, alors j’en profite pour ouvrir ma grande gueule à chaque interview ! Je suis outrée, en permanence, et je n’ai aucune envie de m’habituer au confort, à cette démission…
J’ai peut-être raté des pans entiers de 2009, mais j’ai certainement vécu à fond mon année 2009… Jusque-là, mes années duraient la moitié, car je ne me levais que l’après-midi. Mais là, je n’ai pas eu une seconde de relâche, de paresse. Et ça a été génial : j’ai assisté à tous les festivals – ce qui reste mon activité favorite –, j’ai visité plus de pays en un an que dans le reste de ma vie… Il s’est passé des choses vraiment bizarres cette année, notamment un concert à New York pour l’ouverture d’un magasin Topshop – j’étais alors complètement inconnue, et dans ce public trié sur le volet, j’ai reconnu Kate Moss, Kevin Spacey, Debbie Harry, Jennifer Lopez… Je n’avais sorti qu’un single sur un label français, c’était un de mes premiers concerts : un grand moment de surréalisme… Ça fait partie des nombreux moments où les choses m’ont complètement échappé, où j’ai été emportée par le tourbillon. Aujourd’hui, j’arrive à contrôler ma musique, mais plus mon emploi du temps : j’avais l’habitude de vivre au jour le jour et là, je n’ai pas une journée de libre avant août 2010 – et ça me fait vraiment paniquer. Je vais dire au revoir à mes parents et ne plus les voir pendant des mois à cavaler à travers le monde. C’est la rançon du succès, je ne vais pas me voiler la face, mais ça reste assez terrifiant, surtout pour mon corps, qui n’est pas une force de la nature. Rien qu’en regardant mon agenda, je perds toutes mes forces. Le pire, c’est l’écriture. On m’a accordé, généreusement, quelques soirées chez moi cette année, pendant lesquelles j’ai écrit quatre lignes de paroles. J’ai quelques mélodies en tête, quelques suites d’accords, quelques envies de sons : voilà tout ce que j’ai en stock pour envisager un second album. Mais bon, j’ai aussi beaucoup appris, souvent par défaut : je sais ce qu’il ne faut plus écrire, ce qu’il faut refuser à mon management, ce qu’il ce qu’il ne faut plus porter sur les photos, ce qu’il ne faut plus jouer sur scène… Sur ce dernier point, j’ai un vrai soucis : je n’ai sorti qu’un album, où toutes les chansons ne fonctionnent pas sur scène. Mais je ne peux quand même pas faire payer le public pour trente minutes de concert. J’ai des tonnes d’idées pour mon futur, des idées de sons et de mise en scène, mais je ne peux pas les jeter en pâture trop vite. Il faut que j’en garde dans mon bas de laine. Ça sera mes économies pour les années à venir.
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