Décédée à l’orée de la décennie, la magique Lhasa nous offrait il y a quelques mois une longue interview consacrée à son troisième album, éponyme et crépusculaire. « J’écris des chansons pour m’aider à avancer. Elles sont mes étoiles. Elles me guident dans la nuit » expliquait-elle lors de ce long entretien : ces astres sont éternels.
Après deux albums, La Llorona et The Living Road, où tu nous embarquais dans un voyage autant musical que linguistique avec des chansons interprétées en anglais, en espagnol et en français, ton nouveau disque surprend pas sa tonalité. On est tenté de dire par son immobilité… Comment expliques-tu cela ?
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Mes disques sont toujours des manières de voyages intérieurs. L’unité de celui-ci tient à ce qu’il a été enregistré par un vrai groupe, ce qui n’était pas le cas précédemment. J’avais enregistré The Living Road à mon retour à Montréal après un séjour de deux ans en France en compagnie de musiciens de studio choisis par les deux réalisateurs, François Lalonde et Jean Massicotte. Pour La Llorona, c’était Yves Desrosiers qui avait tout pris en charge. J’étais très jeune à l’époque, j’avais besoin d’être « prise en main » comme on dit. Tandis que celui ci, je l’ai produit moi même et j’ai écrit les arrangements avec les membres du groupe. Les producteurs cherchent toujours à laisser leur marque sur la musique. Moi je n’ai pas tant de sophistication. Je n’ai que la justesse. Je voulais que la production soit la moins apparente possible, que l’on aille vers la nudité, que les chansons puissent exister sans rien avoir à y ajouter. J’avais tellement envie de ça que cette unité dont tu parlais, c’est finalement le plus court chemin entre l’expression et l’émotion.
Peut-on parler aussi d’une unité de temps ? On a le sentiment que tout a été enregistré dans un même moment et même au cours d’une seule nuit. C’est un disque définitivement nocturne…
Ca c’est le résultat de la complicité entre les musiciens. En fait nous habitons tous le même coin à Montréal, Mile End, un quartier que j’adore, une sorte de Greenwich Village où vivent beaucoup d’artistes, de toutes sortes, beaucoup de musiciens et de gens de cinéma. Tout le monde se connaît. C’est là que j’ai rencontré Patrick Watson et c’est par son intermédiaire que j’ai connu Sarah Pagé, la harpiste, qui a tant d’importance sur l’album, mais aussi Joe Grass le guitariste et Miles Perkin le contrebassiste. J’étais souvent invité comme guest au concert de Patrick Watson et lui venait aux miens. Petit à petit, on s’est apprivoisé les uns les autres pour finalement constituer un vrai groupe. En Novembre 2007, on a donné notre premier concert et c’était tellement inouï que j’ai tout de suite voulu entrer en studio. Nous y sommes restés deux semaines, sans savoir vraiment comment ça allait se passer entre nous. Finalement au bout de ces deux semaines, on avait les trois quarts de l’album. Tout ça c’était fait comme dans un rêve. A la fin de Love Came Here, on m’entend émettre un petit rire. Je crois que ce petit rire dit tout, à la fois de la surprise et de l’enchantement de constater à quel point on se découvrait si parfaitement en harmonie. On se regardait les uns les autres avec quelque chose d’incrédule dans le regard, comme si le Bon Dieu était en train de nous faire une merveilleuse farce.
Où l’avez-vous enregistré ?
Le studio s’appelle Hotel 2 Tango. C’est celui où travaille Godspeed You Black Emperor et où fut enregistré le 1er album d’Arcade Fire. C’est un studio analogique, il n’y a pas d’ordinateur. Je voulais cet environnement-là.
Le choix d’un studio analogique c’était en réaction avec la standardisation à laquelle conduit trop souvent le numérique ?
Il y a deux raisons à ce choix. D’abord la musique que j’écoutais à ce moment là c’était essentiellement Al Green et Sam Cooke, deux chanteurs qui précisément n’ont pas besoin d’une production sophistiquée pour faire passer l’émotion. Leurs chansons se suffisent à elle mêmes. Ca coule de source si j’ose dire, même si je sais qu’Al Green a longtemps travaillé avant d’arriver au résultat que l’on connaît, à cette impression de toucher à l’essence à chaque morceau. La seconde raison à vouloir enregistrer en analogique c’est que je trouve violente la manière dont on aborde la musique aujourd’hui. Je trouve que d’enclencher un métronome et de mettre bout à bout des séquences enregistrées séparément pour donner l’illusion d’une chanson, c’est violent. Ca me choque. 80% de ce qui figure sur mon album a été enregistré live. Il en découle une atmosphère particulière qui est le résultat d’une communion entre les musiciens. Et ça n’a pas de prix ! C’est le contraire de ce qui se fait aujourd’hui, de cette vision paranoïaque de concevoir un disque, de courir après le perfectionnisme avant de ressentir la perfection en soi. Qui est un concept un peu fasciste quand on y réfléchit.
Cet album est marqué par une autre unité, linguistique celle-là. Pourquoi avoir abandonné l’espagnol et le français et ne plus faire usage que de l’anglais ?
L’anglais est ma langue maternelle. C’est celle dans laquelle je pense, je compte et je rêve. Je suis anglophone complètement. Je parle l’espagnol parce que mon père est d’origine mexicaine et le français parce que je vis à Montréal et que j’ai vécu deux ans en France. Même si j’ai beaucoup de facilité à parler ces deux langues pour avoir grandit avec elles, il y a toujours un degré d’effort qui n’existe pas avec l’anglais. Je ne suis vraiment présente à 100% qu’à travers l’anglais.
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