Condamné à un an de prison celui qui s’est autoproclamé « meilleur rappeur vivant » fait l’objet d’un documentaire projeté à Sundance. Après la sortie coup sur coup d’une géniale mixtape, d’un album collectif avec son label et d’un médiocre album rock, retour sur un phénomène inclassable à quelques jours de son incarcération.
[attachment id=298]Dans le documentaire qui lui est consacré, Lil Wayne répète à plusieurs reprises un simple geste. Avant un concert, dans son tour-bus ou pendant une interview, le rappeur passe l’espace de quelques instants ses doigts sur ses lèvres à la manière du personnage de Belmondo dans A bout de souffle.
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S’il est peu probable que Lil Wayne paye là sa référence à Michel Poiccard (dont le geste était lui-même inspiré de celui d’Humphrey Bogart) le mimétisme fortuit peut fournir une porte d’entrée dans l’univers d’un rappeur hors-norme qui aime à se décrire dans ses propres textes comme un être issu d’une autre dimension.
Malheureusement The Carter est un documentaire inégal qui peine à capter l’insaisissable. On y voit Lil Wayne prendre un malin plaisir à tourner en dérision toute question personnelle, regarder ESPN, enregistrer de manière obsessionnelle, fumer et boire du syrup – un mélange sirupeux de prométhazine, de codéine et de sodas ou jus divers qui, associée à la weed dont il est grand consommateur provoque un mélange déconseillé par l’Observatoire des drogues.
Pour l’historique, on y rappelle que Lil Wayne commence à rapper à 8 ans. Quelques années plus tard il inonde la messagerie de Brian « Baby » Williams et rejoint Cash Money Records avec le boys band gangsta Hot Boys. De cette époque on n’apprendra quasiment rien si ce n’est l’histoire de son dépucelage à 11 ans quand Baby, son père spirituel, le pousse à aller se faire sucer la bite par une inconnue au milieu d’une soirée dans la pièce d’à côté. « En sortant j’étais comme si j’avais buté 5 niggas, comme si j’avais dévalisé 3 banques. J’étais différent en sortant de là, j’étais Lil Wayne » confie le rappeur en riant. Sourire aux lèvres toujours, il s’explique au fil des interviews sur le jour où, à 11 ans il se tire dans la poitrine « par inadvertance ».
Comme Michel Poiccard, Lil Wayne semble se foutre de tout. L’annonce du premier million de disques vendus une semaine à peine après la sortie de Tha Carter III le laisse presque froid – on touche pourtant là à sa préoccupation première, en témoigne cette phrase lachée en interview : « je ne couche avec personne, je n’ai pas le temps pour cette merde, je travaille trop. Il y a juste la musique, la musique et l’argent, littéralement ».
Le rap, la Nouvelle-Orléans et le syrup, une sainte trinité intouchable. Quand son ami d’enfance émet quelques réserves sur sa consommation de drogues il le crucifie en public au début d’un de ses concerts. Quand un journaliste lui parle de la tradition musicale de la Nouvelle-Orléans, le rappeur s’énerve et explose quand le pauvre homme ose lui parler de poésie. « Je ne fais pas de poésie, je me fous de la poésie ».
Car chez Lil Wayne pas de lyrisme, pas de choix murement réfléchi entre le néant et le chagrin. Le rappeur n’écrit rien mais enregistre continuellement. Dans son tour-bus, dans les chambres d’hôtel, tel Mary Poppins en grillz il sort religieusement d’un sac noir son micro portatif et finit la nuit en enregistrant. Pas loin du ressassement éternel, il ne cesse de s’écouter, avoue avoir des mots et des idées qui s’entrechoquent continuellement dans sa tête et considére les moments où il enregistre comme « une délivrance ».
La projection à Sundance de ce documentaire au moment où sort un étrange album rock (Lil Wayne a décidé de passer du statut de meilleur rappeur vivant à celui de rockstar) démonté par tous les critiques et à quelques jours de son incarcération laisse une étrange impression. Star du rap à 15 ans, icône à 23, il se trouve aujourd’hui obligé de s’éclipser en pleine gloire. Le 9 février Lil Wayne entrera à Rikers, une prison de New York et y restera a priori un an. « Je suis préparé pour toutes les situations. Je n’ai jamais eu peur de rien à part Dieu. Je le prends comme une expérience. Je l’attends » confie-t-il dans le dernier Rolling Stone dont il fait la couverture en toute désinvolture.
Dans The Carter, quand un journaliste lui demande s’il a peur de la mort, Lil Wayne ne comprend même pas la question. « Ma mort ? Mais pourquoi je penserai à ça ? C’est stupide ». Michel Poiccard lui, avouait spontanément y penser sans arrêt tout en faisant tourner sur lui-même un gros ours en peluche dans la chambre de Patricia Franchini. Mais Lil Wayne semble n’avoir que faire de devenir immortel avant de mourir, il est déjà the best rapper alive.
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