Fassbinder adapte Nabokov et projette Dirk Bogarde dans une middle life crisis barrée sur fond de montée de nazisme.
Plutôt indifférent à Ingmar Bergman, Fassbinder aurait-il prémédité Despair en réponse à L’Œuf du serpent du Suédois, réalisé un an plus tôt ?
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Les deux films ont le même terreau – deux coproductions internationales en quête d’auteur hype, tournées en anglais, sur fond de montée du nazisme, qui dessinent en spirale la folie de leur héros.
Si Bergman superpose peste brune et climat parano pour s’excuser d’avoir été fasciné, jeune, par le nazisme, Fassbinder y est un brin plus insouciant et dissocie, un peu contre son habitude, histoire de l’Allemagne et intime.
Hermann Hermann (Dirk Bogarde, dans son emploi chic louche seventies de rigueur) y dirige une usine de chocolat, imperméable à l’époque, rongé par une psychose qui tient de la middle life crisis barrée.
Las de sa femme idiote et du cacao, Hermann est obsédé par l’idée d’être un autre, au point de voir son double et de s’enfermer dans une mascarade absurde : persuadé de leur ressemblance physique, il propose à un vagabond d’échanger leur vie. Sauf que l’homme n’est pas du tout son sosie.
Adapté d’un roman de Nabokov par le dramaturge anglais Tom Stoppard, Despair est une curiosité mal connue dans la filmo de Fassbinder malgré un pedigree prestigieux (et qui ressort dans une superbe copie restaurée).
C’est surtout une longue blague existentielle cruelle, à l’humour très littéraire (les jeux de mots dans la scène d’ouverture sur l’effondrement de Wall Street), mais qui happe par sa fantasmagorie.
Le film travaille les thèmes chéris de RWF : l’identité fracturée, les dominants/dominés, les apparences que ses personnages n’arrivent jamais à maintenir en société.
La déclinaison est certes beaucoup plus littérale que dans ses mélos socio-punks (tel Tous les autres s’appellent Ali), mais les divagations d’Hermann stylisent ces obsessions et magnifient la grammaire visuelle maison – filmer le monde comme s’il était derrière une vitrine à coups de recadrages, reflets et figurants inquisiteurs.
A l’image de l’appartement Art déco d’Hermann, le film est un palais des glaces, superbe mais trompeur. Les peintures y prennent vie et les victimes disent merci lorsqu’on les assassine.
Fassbinder y inverse la trajectoire usuelle des protagonistes de ses films (atteindre les sommets de l’échelle sociale ou, du moins, un semblant de normalité) lorsque l’élégant Hermann se clochardise de son plein gré.Mais il le fait avec son émotion dévastatrice habituelle. L’illusion poignante d’une utopie vouée à l’échec.
Despair, c’est la disparition rêvée d’un homme, sauf que le numéro de passe-passe a un effet inattendu : en bon cinéphile, Fassbinder livre à Hermann un finale à la Boulevard du crépuscule, version chalet suisse glauque.
Avec Bogarde en Gloria Swanson, prêt à offrir un gros plan aux policiers qui l’arrêtent. Hollywood n’est jamais loin chez Fassbinder, mais avec une distance qui lui est propre.
Celle qui fait chuchoter Bogarde sur sa condition soudain retrouvée d’acteur. Celle du créateur mais midinette lucide, qui peaufine de belles miniatures comme ce Despair, dont chaque détail tutoie aussi bien le diable que les anges.
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