Une histoire d’amour et de pickpocket électrifiée par l’écriture éblouissante de Samuel Fuller.
A six ans d’intervalle, deux films qui devinrent deux chefs-d’œuvre proposent une histoire d’amour et de pickpocket, comme si la mise en scène, le vol et le rapport homme/femme s’additionnaient au sein d’une mystérieuse solidarité.En 1959, Robert Bresson livrera son Pickpocket et son itinéraire moral abstraitement tracé.
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Six ans avant, Fuller, sans la géniale rétention du cinéaste français, mais avec un laconisme comparable, met également en scène un pickpocket, lequel jette son dévolu sur une jeune femme qui trimballe à son corps défendant de compromettants documents et qui est surveillée par un policier soucieux de démanteler le réseau.
Si Bresson a plutôt le génie de l’ellipse, c’est celui du “crépitement” qui caractérise Fuller. Toutes les scènes sont chargées d’un potentiel explosif, comme allumées à retardement, retenues quand il le faut, mais aussi lâchées quand il est l’heure.
Les explosions sont géniales, en particulier dans les scènes entre l’homme et la femme qui passent leur temps à se taper dessus. Ça pourrait être odieux mais on comprend très vite que le tapage est comme une manière de se trouver, de se tester, et que le plus agressif est peut-être le plus amoureux – se défendre de l’amour avant d’y succomber.
Avec son génie du casting, Fuller a mis face à face les deux chats hurlants du cinéma américain (c’est une pure hypothèse, mais on se dit que les Cramps devaient adorer ce couple).
L’un a une tête d’ange, une petite gueule blonde aux traits de garçonnet malingre. Richard Widmark joue comme si on l’avait privé pendant toute son enfance de nourriture et qu’il en avait conçu une rage affamée. Il a surtout le rire le plus fameux du cinéma américain, une manière de siffler entre ses dents comme un serpent si bizarrement foutu que même ceux de sa race le rejettent, écœurés.
Jean Peters, c’est la partenaire et l’équivalent de Widmark. Elle appartient à ces petites teigneuses de la série B, tous crocs dehors, et fut amadouée par le doux Jacques Tourneur (les tempéraments opposés s’accordent toujours), qui lui donna le rôle de sa vie dans Anne of the Indies, où elle joue une femme pirate qui coupe les têtes comme on casse des noix de coco.
Ici aussi, rien n’a grâce aux yeux des amants déchaînés, si ce n’est l’amour qui surgit comme arraché à la facilité des instants, comme dérobé à soi-même – si Lacan avait préféré être pickpocket que psy, sans doute aurait-il dit qu’aimer, c’est piquer à autrui pour mieux lui redonner le butin.
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