C’est contre leurs propres démons, contre un perfectionnisme pathologique et dans un huis clos angoissant que Foals a réussi à accoucher de son second album. Un groupe brillant et une histoire passionnante, déroulée dans une interview au long cours.
Mi-février. C’est dans un studio londonien que nous rencontrons Foals, quelques minutes après l’écoute d’un deuxième album, à peine bouclé, qui nous a franchement laissés sur le popotin. On découvre un groupe heureux : heureux de s’en être sorti, heureux d’avoir enfin quelque chose à présenter au monde, heureux de pouvoir enfin expulser ce qui est le fruit d’un processus apparemment complexe et douloureux, soulagé d’avoir frôlé la folie sans y sombrer totalement. On découvre, question après question, un groupe absolument passionnant et on décortique avec eux les chemins sombres qui les ont mené, finalement, vers la lumière.
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Dans quel état d’esprit, et dans quel état physique étiez-vous à la fin des tournées qui ont suivi Antidotes ?
Jimmy Smith : Physiquement, dans un sale état. Totalement épuisés. Mentalement, très usés.
Edwin Congreave : C’est je crois la même histoire pour beaucoup de groupes. Notamment les groupes britanniques, qui partent en tournée aux Etats-Unis ; c’est généralement l’un des passages les plus épuisants. Beaucoup de groupes traversent cette situation, et nous ne l’avons pas très bien vécu.
Jimmy Smith : Décider d’arrêter et de souffler un peu a été une bonne décision. Car nous pouvions tout à faire décider de l’inverse, et continuer sur la lancée ; ce que font beaucoup de groupes. On devait aller en Australie, après Noël, mais je suis content que nous ne l’ayons pas fait : nous avions vraiment atteint un point où ça aurait été dangereux pour nous.
Yannis Philippakis : Je me souviens d’un moment particulier, à la fin de ces tournées. Les concerts étaient de plus en plus violents, et je pensais à tous ces groupes qui se plaignent toujours de l’épuisement que provoquent les tournées sans fin, je me disais qu’au contraire je me sentais super bien, mieux que jamais. Puis je suis rentré à la maison. Et je me suis rendu compte que si je me sentais en forme, j’étais en fait passé de l’autre côté de la barrière. Sincèrement, je n’étais vraiment pas loin de faire du diable mon meilleur ami.
[attachment id=298]Etiez-vous totalement satisfait d’Antidotes ?
Edwin Congreave : Non. Pas tout à fait. Mais c’était notre premier album –nous avons quand même été plutôt enthousiastes quand nous l’avons terminé.
Yannis Philippakis : Il y a eu un moment, où nous nous sommes assis ensemble après l’avoir terminé, et nous étions ravis de l’avoir vu prendre forme, contents de l’avoir enfin terminé. Je chantais sur nos morceaux, on était gais. Mais les choses ont un peu évolué ensuite. Et si nous avions été pleinement satisfaits, nous n’aurions pas enregistré de deuxième album. Pourquoi le faire ? Mais nous devions le faire, parce que nous avons encore la faim.
Ce deuxième album est donc né des frustrations que vous aviez quant au premier ?
Yannis Philippakis : Oui, probablement. Même si ce n’était sans doute pas une réaction pensée et préméditée. Nous avons essayé d’éviter ça. Nous avons essayé de déconnecter nos consciences de ce genre de réflexions –on finit par entrer dans des cercles de pensées sans fin si on n’arrive pas à se détacher de ce genre de chose. De toute façon, nous considérons chaque album comme un témoignage de ce que nous traversons au moment où nous le concevons. Les penser de cette manière est pour nous une excuse, un moyen de relâcher un peu notre obsession du contrôle, de la perfection. Au final, ces chansons capturent quelque chose, mais pas toutes les choses : ce n’est pas un point final, pas un documentaire définitif sur ce que Foals représente.
Quand avez-vous commencé à penser au deuxième album, à l’écrire ?
Edwin Congreave : Nous avons plus ou moins commencé à écrire en tournée. Puis nous avons pris une petite pause, dont nous avions besoin. Nous avons ensuite emménagé dans une maison à Oxford, qui disposait d’une vaste cave que nous avons très rapidement transformé en espace de répétitions et d’écriture. Nous avons réunis tout ce que nous avions créé chacun de notre côté, des boucles, des bouts de morceaux, pour en faire des chansons.
Yannis Philippakis : Nous n’avons pas réellement pris de pause. Nous sommes entrés dans cette maison assez rapidement après avoir fini la tournée. Et il nous a fallu quelques mois pour construire le studio, le mettre en place. Une fois l’espace prêt pour qu’on puisse y jouer, nous nous sommes plus sérieusement mis au boulot. Et avec des techniques et perspectives assez différentes de celles d’Antidotes.
Vous avez constitué l’album comme un puzzle ?
Yannis Philippakis : Oui : des boucles, des fragments, beaucoup d’éléments. Jimmy descendait tout seul un soir, écrivait quelque chose, puis je faisais la même chose le soir suivant, puis nous nous retrouvions à trois pour mettre tout ça en cohérence, puis les autres faisaient la même chose de leur côté, puis nous nous retrouvions tous ensemble pour finir l’écriture, faire tout coïncider. Mais une des plus grandes différences avec le processus d’Antidotes est ailleurs : nous avons écrit cet album à un volume sonore plus bas. Antidotes, nous jouions comme un vrai groupe rock, très fort, très vite, dans l’instant, on faisait beaucoup de bruit. Cette fois, j’ai pensé un peu plus clairement aux paroles, et à la manière dont je voulais qu’elles s’insèrent dans les morceaux ; c’est le fait de jouer un peu plus bas qui m’a permis cette réflexion. Nous jouions aussi beaucoup la nuit, les voisins se plaignaient parfois.
Edwin Congreave : Jouer à un niveau sonore plus bas nous a surtout permis d’avoir des conversations sur ce que nous faisions ; ce n’était pas vraiment le cas pour Antidotes.
Yannis Philippakis : C’est je pense de là que proviennent les nuances et les subtilités qu’on trouve sur cet album, sans doute plus que sur Antidotes. Mais le fait de jouer un peu moins fort n’a pas affaibli les morceaux ; nous voulions toujours des choses rageuses, dansantes.
Comment conserver la cohérence du projet, en écrivant de la sorte, de manière très morcelée ?
Edwin Congreave : Ca vient de manière assez naturelle, au final. Jimmy ou Yannis écrivent quelque chose, et c’est une fois que cette chose se retrouve dans les mains du groupe en entier qu’on trouve une cohérence plus globale avec ce qui a été écrit par ailleurs.
Yannis Philippakis : Moi et Jimmy avons écrit pas mal de choses qui ne collaient pas avec Foals, et qu’on a collectivement décidé de mettre de côté. Nous sommes cinq : les choses circulent entre nous et finissent par prendre leur forme finale –mais nous n’avons pas activement cherché la cohésion, les choses sonnent comme elles sonnent.
Vous aviez une idée de ce que vous vouliez faire ?
Yannis Philippakis : Initialement oui, mais au final nous ne sommes pas vraiment allés dans cette direction. Il y avait quelques idées. Au départ, nous voulions aller à Hawaii, et enregistrer un disque plus calme, plus surf rock. Mais a posteriori, on se rend compte que nous avons eu raison de ne pas le faire : nous aurions été excités de le faire, mais au final trop de gens prennent cette direction, un peu tropicale. Ne pas aller à Hawaii nous a poussés dans l’autre direction, à aller dans le froid Suédois et faire quelque chose de très différent. Nous avions aussi l’idée de faire quelque chose d’un peu plus classique ; nous écoutions beaucoup de funk, de vieux trucs disco. Mais la principale chose que nous ayons apprise entre le premier et le deuxième album a été une certaine forme de relâchement, en termes de style, pour que les choses viennent un peu plus naturellement. Je suis content qu’au final cet album n’ait pas été prémédité. Antidotes souffre selon moi, rétrospectivement, d’un défaut principal : nous avons fait rentrer la plupart de ses chansons dans une sorte de modèle. A l’époque, c’était ce que nous voulions, mais au final on ne peut pas répéter ça indéfiniment, ça ne satisfait vite plus personne. Les meilleurs choses de ce deuxième album sont les surprises qu’il contient, pour nous comme, je l’espère, pour les gens qui l’écouteront.
Vous vous êtes surpris vous-mêmes, en écrivant ?
Yannis Philippakis : Oui. Comment l’expliquer ? C’est inexplicable, ce ne serait pas une surprise sinon.
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