Six mois après la sortie de son étonnant second album, Kings and Queens, l’ingénieux troubadour anglais a finalement fait son grand retour sur scène à Paris lors d’un concert aussi épique que bordélique. Jamie T ou quand le punk prend d’assaut le Divan du Monde le temps d’une soirée.
La dernière fois qu’on avait vu Jamie T sur scène, c’était en 2006, lors d’une soirée Inrocks Indie Club à la Maroquinerie. On ne va pas mentir : le bonhomme avait un peu trop forcé sur le Jack Daniel’s et ne tenait debout que grâce à l’appui de son pied de micro. Chaotique sur bien des points, le concert avait pourtant eu le mérite de lâcher dans l’arène toute la spontanéité et la violence de la musique de Jamie T sans dorure, ni manque de crédibilité.
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Trois ans plus tard, après avoir annulé un premier concert en novembre dernier, Jamie T est un peu moins soûl, mais n’a rien perdu de son énergie brute. Face aux XX qui jouent ce soir à la Cigale, le Britannique débraillé risquait de perdre une partie de son public au profit de ses jeunes compatriotes. C’est pourtant devant une salle pleine qu’il entre en scène aux côtés de son groupe, mèche en arrière à la Elvis, blouson en jean eighties sur le dos et bouteille de vodka à la main. La complicité des cinq acolytes au look de scallywags saute aux yeux et c’est entre potes, le sourire aux lèvres, qu’ils entament leur set au son du sample débutant The Man’s Machine, un mix improbable de deux titres des Rockin’ Berries et des Angelic Upstarts.
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Avouons-le tout de suite, le son est dégueulasse. La voix de Jamie est criarde et couvre pratiquement tous les instruments sur les premiers morceaux retapés à la sauce rock. L’erreur est vite réparée, et si le Britannique s’époumone parfois un peu trop dans son micro, l’équilibre guitare-basse-batterie-voix est rétabli pour le reste du concert.
La foule est compacte, mais plutôt calme. C’est donc dans la fosse que Jamie T se lance, micro en main, pour interpréter 368, extrait de Kings and Queens. Le Londonien, originaire de Wimbledon, paye de sa personne pour semer la zizanie dans le public : il saute, hurle, bouscule tout le monde, transformant peu à peu le Divan du Monde en un amusant champ de bataille. L’ambiance se détend, les blagues fusent, le musicien alpague le public, répond à ses vannes (« Hé Jamie, je connais bien ta mère » ; « hé branleur, je connais plutôt bien ta meuf aussi tu sais« ) et tente même d’arranger de potentielles histoires d’amour dans la fosse.
Au-delà de sa capacité à mettre le bordel dans une salle en moins de trois morceaux, c’est pourtant l’aptitude de Jamie T et de son groupe à jongler avec les styles, les codes et les personnages qui surprend. Depuis la sortie de Panic Prevention, son premier album, on savait déjà le jeune chav capable de grandes choses. Après des centaines de concerts enchaînés, des heures passées à engloutir toutes la discographie du Clash et de Fela Kuti et des rencontres mémorables (Damon Albarn notamment, dont il est le parfait petit cousin), le blanc bec est passé au niveau supérieur : sans perdre sa griffe particulière et son don pour jouer avec les mots, l’Anglais a su emmener sa musique hors des frontières de l’Angleterre et passe désormais, sur scène, du rock au rap, du ska à l’acoustique sans le moindre problème – les sublimes Emily’s Heart et Back In The Game, jouées seul pratiquement a cappella, mettant une fois de plus en lumière ses talents de songwritter. Jamie T change de costumes aussi vite qu’il chante, le tout avec une habileté et un naturel déconcertant. Salvador, So Lonely Was The Ballad, Earth, Wind & Fire et British Intelligence défilent presque méconnaissables et c’est tout un pan de la musique qui se déroule avec elles.
[attachment id=298]Ce qui frappe le plus reste cependant la filiation punk du jeune homme. En bon descendant de Joe Strummer (même bagout, même arrogance, même présence électrique), Jamie T paraît tout droit sorti de la fin des années 70, de laquelle il a hérité sa brutalité, sa nervosité et son esprit no limit. Bien campé dans ses baskets, le musicien semble capable de tout renverser en une poignée de secondes. L’équilibre précaire qui règne pendant Spider’s Web, l’une des plus belles réussites de Kings and Queens jouée en début de rappel, bascule d’ailleurs lorsque la troupe enchaîne coup sur coup Sheila, Chaka Demus et Sticks ‘n’ Stones dans un profond chaos. Jamie T se jette à plusieurs reprises dans la fosse jusqu’à laisser venir la foule à lui pour une stage invasion décousue. Une bonne trentaine de personnes prend d’assaut la scène, empêchant même le Britannique de chanter son dernier titre jusqu’au bout. Il finira par le faire en sueur, guitare à moitié débranchée et micro tenu par l’une des spectatrices. Punk is not dead. Il est même en pleine forme.
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