Cronenberg ausculte la libido de Jung, et sa rivalité avec Freud autour d’une femme, dans un film très bavard et un peu raide.
Adapté d’une célèbre pièce anglo-saxonne, A Dangerous Method chronique les relations triangulaires entre Carl Jung, Sigmund Freud et une de leurs célèbres patientes, Sabina Spielrein, souffrant d’hystérie – relations qui mêlent discussions professionnelles, méthodes psychanalytiques (la célèbre controverse entre les deux papes de la psychanalyse), séduction et sexe, ces deux dernières facettes constituant le fameux “transfert” théoriquement proscrit de toute thérapie analytique.
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Ce nouveau film de David Cronenberg est un peu surprenant, voire déstabilisant. Que le cinéaste canadien s’intéresse à la psychanalyse n’est évidemment pas une surprise tant elle infuse toute sa filmo. Non, ce qui étonne, c’est qu’il l’aborde aussi littéralement, voire littérairement, et d’une façon peu cronenbergienne. Cronenberg nous a habitués à nous approcher tellement près des corps et des zones les plus reculées de la sexualité, au point d’aller y voir jusque dedans (viscères, tripes, plaies ouvertes, etc.) que A Dangerous Method semble par comparaison extrêmement propre et distancié, comme si dans un processus de vases communicants la fouille des mystères du cerveau éloignait de la chair, de la matière corporelle. Si le film n’est pas désagréable à voir (acteurs et dialogues sont plutôt bons), il ressemble plus à un beau produit culturel international qu’à un film griffé Cronenberg.
On retrouve pourtant ici Viggo Mortensen, acteur cronenbergien s’il en est, alors que l’élégant Michael Fassbender prend peut-être la suite de cette autre figure cronenbergienne que fut Jeremy Irons. Il est intéressant de voir à quel point Mortensen est ici à l’opposé de ce qu’il faisait dans A History of Violence et dans Les Promesses de l’ombre, alors que Fassbender est très éloigné du rôle de bite humaine que lui fait tenir Steve McQueen dans Shame.
Sur le papier, le casting de ce film (Keira Knightley incluse) promettait de faire valser les phéromones. A l’arrivée, les corps des acteurs sont corsetés dans leurs costumes anciens, leurs visages domestiqués par des lunettes et des barbes bien taillées. L’intellect prime sur le corps. Quand sexe il y a, c’est discrètement hors champ, ou en fond de plan. Et quand Knightley engage son physique, c’est pour jouer une folie peu sensuelle. Finalement, cette façon de geler l’érotisme potentiel de comédiens bandants est peut-être le projet humoristiquement pervers de Cronenberg dans ce film, sa signature en creux.
Serge Kaganski
A Dangerous Method de David Cronenberg, avec Michael Fassbender, Keira Knightley, Viggo Mortensen (G.-B., All., Can., Sui., 2011, 1 h 39), en salle le 21 décembre.
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