Loin de la carte postale mythologique, le Los Angeles des Liars, exploré sur le sombre et beau Sisterworld, ressemble à une ville apocalyptique, violente, crasse, aliénante. Passionnant.
La Cité des Anges. Ses palmiers, son industrie de l’entertainment, son Berverly Hills, ses plages, son soleil indécollable, son mythe scintillant comme une étoile sur Hollywood Boulevard. Et ses clodos, ses drive-by shootings, ses quartiers immondes, sa géographie informe. Trop paumés à Berlin, les exigeants Liars sont retournés au bercail.
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Pour un calme relatif et, paradoxalement, pour l’inconfort du foyer : pour se frotter, la peur au bide, aux crasses qui s’accumulent sous le tapis californien. “Nous nous sommes intéressés à la dislocation sociale et personnelle, aux gens qui se sentent totalement rejetés par leur environnement, explique le longiligne Angus Andrew. Et L. A. est sans doute un endroit parfait pour scruter ces phénomènes. Je voulais y voir des lieux qui n’étaient pas heureux, pas attractifs. Les sans-abri, le crime, la violence. Cette ville donne en permanence l’impression d’être au bord d’un précipice, de l’apocalypse ; elle est assez effrayante : pour être honnête, je crois que je n’ai jamais vécu dans un endroit plus effrayant.”
Les garçons n’ont pas fait les choses à moitié. Pour saisir le pouls patraque de la mégalopole artificielle, ils ont fait une chose totalement incongrue, dingo et téméraire : ils ont marché. Dans la ville occidentale la plus hostile aux piétons, une aventure en soi. Ils ont également enregistré une partie de l’album dans le quartier craignos de Skid Row. Enfin, Andrew a vécu au-dessus d’une échoppe de cannabis thérapeutique – et a vu en direct le vigile se prendre une balle puis mourir. Forcément, ça tache.
[attachment id=298]Et Sisterworld, passionnant résultat de l’auscultation par le bas, est effectivement marqué par cet air mauvais que David Sitek, nouvel habitant de la ville, nous décrivait, il y a quelques mois déjà comme “démoniaque”. Sisterworld est peut-être le meilleur album des Liars. Ceux qui n’ont pu ou su encore se plonger dans les expérimentations rock, parfois violemment absconses, des trois Américains, pourraient bien changer d’avis : ce cinquième album semble plus “accessible”. “Il y avait sans doute, précise Andrew, l’envie de quelque chose de plus organique. Peut-être sommes-nous passés à un stade où nous raffinons nos idées, notre son. Nous avons également poursuivi quelque chose que nous avions entamé sur le précédent album, Liars : je crois que nous sommes de plus en plus intéressés par les mélodies.”
Des mélodies ? Oui, mais virales, tordues, sombres. Entre coups de griffes (les terrifiants Scarecrows on a Killer Slant et The Overachievers) et morceaux plus lents, voire quand le groupe alterne les deux (la magnifique ouverture Scissor), les Américains réussissent à trouver des nuances inédites dans le noir complet, enrichissent leur vocabulaire et leur grammaire, notamment par la présence régulière de cordes et de cuivres. Et offrent à Los Angeles un miroir non déformant et flippant, débarrassé de toute mythologie.
Album : Sisterworld (Mute/EMI)
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