En 1958, en pleine guerre d’Algérie, Henri Alleg écrit « La Question », récit sec et précis des tortures que lui infligèrent les paras français. Militant communiste, ancien résistant, il est mort le 17 juillet à 91 ans.
Juif d’origine russo-polonaise, né à Londres, puis français et résident amoureux de l’Algérie, Henri Alleg (de son vrai nom, Harry Salem) était un melting-pot fait homme, un être exemplaire hier comme aujourd’hui, et dont chacun devrait s’inspirer en notre époque de communautarisme et de crises d’urticaire identitaires. Alleg était sartrien au sens où il prônait en idées et en actes l’égalité entre les hommes, sans hiérarchie de classe ou d’ethnie.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Membre du Parti communiste algérien, il était évidemment dans le camp de l’Algérie indépendante, opposé au colonialisme et à cette guerre d’Algérie qui ne disait pas son nom. Arrêté au domicile de Maurice Audin (mathématicien du même bord qui succomba aux tortures des paras), Henri Alleg fut torturé, mais résista aux insultes, intimidations et souffrances. Emprisonné ensuite, il rédigea depuis sa cellule, sous le conseil de son avocat, le récit de son passage dans les griffes des paras.
L’éditeur Jérôme Lindon (Minuit) imprima La Question en février 1958. Le récit d’Alleg se vendit très vite à 60 000 exemplaires, malgré la censure du président Coty (le livre fut de suite réédité en Suisse). C’était la première fois que le sujet de la torture connaissait un tel retentissement et provoquait un débat bien au-delà des cercles militants. Le grand public prenait enfin conscience des exactions de l’armée française, des horribles effets du colonialisme et des crimes des parachutistes, unités de sinistre mémoire dont faisait partie Jean-Marie Le Pen.
La Question est un ouvrage de première importance informative et historique, mais aussi un texte de valeur littéraire par la précision de son écriture et le calme de son ton. On y ressent l’héroïsme humble de celui qui ne cède rien sur ses principes et idées, tout autant que l’ignominie abrutie des tortionnaires. D’un côté, l’homme dans ce qu’il a de plus élevé, de l’autre, la meute des salauds. Laurent Heynemann portera le livre à l’écran en 1977, avec Jacques Denis dans le rôle d’Alleg (rebaptisé Charlegue dans le film).
Rentré en France en 1965 – Alleg était en désaccord avec le FLN qui accaparait le pouvoir et Boumédiène, chef de l’Etat algérien, interdira Alger républicain, le journal d’Alleg –, il continuera d’écrire articles et ouvrages. En 2000, il signait l’appel des Douze “pour la reconnaissance de la torture par l’Etat français” aux côtés notamment de Josette Audin (veuve de Maurice), Germaine Tillion, Pierre Vidal-Naquet, Gisèle Halimi ou Madeleine Rebérioux.
La Question s’ouvre par la phrase : “En attaquant les Français corrompus, c’est la France que je défends.” On confirme. Les paras sont le déshonneur éternel de la France, les Henri Alleg son honneur tout aussi durable.
{"type":"Banniere-Basse"}