Des premières brûlures aux cendres, Louis Garrel filme un amour qui se défait. Avec cette fois une Monica Bellucci très émouvante et un usage raffiné de la couleur.
De Garrel, cinéaste emblématique de la notion d’auteur, on pourrait dire qu’il fait presque toujours le même film. Ou plutôt que tous ses films finissent par n’en former qu’un seul, où se tressent l’art, la politique et les relations sentimentales, fidèle à une certaine idée absolue du monde, du cinéma et de l’amour, hanté par les figures chères croisées tout au long de ce voyage de plus de quarante années.
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Ceux qui connaissent la planète Garrel ne seront donc pas surpris de trouver dans Un été brûlant deux amis, l’un peintre, l’autre figurant de cinéma, leurs amoureuses, l’une actrice, l’autre également figurante. Avec ce mélange d’épure et d’intensité propre à Garrel, le film observe les subreptices glissements d’amitié et de désir qui se jouent entre ces quatre-là, leurs conversations politiques, leurs regards exprimant plus de vérité que les mots.
La nouveauté d’Un été brûlant, c’est la couleur. Philippe Garrel a certes déjà réalisé des films en couleur (J’entends plus la guitare, Le Vent de la nuit…) mais ce n’est pas si fréquent chez ce maître du noir et blanc, et jamais les rouges, les bleus, les verts, les jaunes n’ont été si vifs chez lui. Il y a une dimension solaire, italienne, méditerranéenne, dans ce film qui se passe en partie à Rome, et dont la boussole lointaine est Le Mépris.
Ce qui nous amène à Monica Bellucci, autre élément singularisant d’Un été brûlant. Aussi charnelle que Bardot chez Godard, aussi pulpeuse et ronde que Nico était élancée et anguleuse, la Bellucci est ici fondue dans le monde garrélien (comme Bardot fut godardisée), faconde méridionale en veilleuse, iconique, hiératique, silencieuse, amoureuse, blessée.
Quand un été brûle trop, viennent ensuite l’hiver et les cendres. Frédéric (Louis Garrel) tente de mettre fin à ses jours. A l’hôpital, il reçoit la visite de son grand-père (Maurice Garrel, évidemment). La scène est troublante : un cinéaste filme son fils, revenant de fiction, et son père, pour le coup vrai fantôme puisque le comédien est décédé après le tournage. Cette “apparition” de Maurice Garrel pourrait se voir comme le remake bienveillant de son inoubliable et terrible scène dans Rois et reine, où il était un père cinglant revenu d’entre les morts pour régler ses comptes avec sa fille. La filiation est plus apaisée, moins tordue chez Garrel que chez Desplechin.
Ce qui est émouvant dans le cinéma de Garrel, c’est une forme de permanence, une façon de faire autarcique qu’il maintient envers et contre tout, quelles que soient les évolutions environnantes. On peut bien inventer internet, Garrel sera toujours là pour filmer une femme, un jeune homme, leur amour à mort. Mais ce qui est fort, c’est qu’il n’y a rien d’académique ou de muséal dans cette démarche. Car si Garrel raconte peu ou prou les mêmes histoires d’amour qui se finissent très mal, c’est toujours en guettant l’épiphanie du plan, en restant attentif et ouvert à l’émerveillement devant ce qui se produit d’unique et de magique entre un acteur, un cinéaste et une caméra. Un été brûlant a beau être son énième film, le cinéma de Garrel reste éternellement jeune.
Serge Kaganski
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