Un documentaire fin et patient sur une classe d’adolescents qui découvrent avec bonheur le roman de Madame Lafayette, à la barbe de Nicolas Sarkozy.
Il y a quelques années, Nicolas Sarkozy avait franchi le “mur du con” en affirmant que la lecture de La Princesse de Clèves était inutile pour une guichetière de La Poste.
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Même si la polémique avec le Président n’était pas l’objectif principal du réalisateur Régis Sauder, son documentaire constitue une splendide et subtile réponse au propos présidentiel.
Sauder et son équipe se sont immergés dans les classes de première et terminale du lycée Diderot, sis dans les quartiers nord de Marseille. Ils ont filmé les lycéens (et parfois leurs parents) en train d’apprendre et de travailler sur le roman de Madame de La Fayette.
C’est ce qui saisit primordialement dans ce film : voir des adolescentes et des adolescents de quartiers populaires, de toutes origines et de toutes teintes de peau lire ou réciter des extraits du texte, classique de la culture et de la langue françaises.
Que leur diction soit fluide ou trébuchante, entendre les mots de Madame de La Fayette passer par la bouche de ces jeunes filmés frontalement et en plans serrés produit une puissante émotion.
On pense au travail des Straub, qui faisaient dire du Dante, du Pavese ou du Vittorini aux ouvriers et paysans de Buti. C’est le même type de processus auquel on assiste ici : l’appropriation d’un pan de culture “noble” par une catégorie sociologique à laquelle il n’était pas destiné, du moins pas selon une vision déterministe.
Or, ces jeunes que l’on penserait surtout branchés rap et Facebook prennent un certain plaisir à apprendre, dire et analyser un livre qui “n’était pas pour eux”, ou qui serait “inutile” dans notre monde actuel.
Or, passée l’émotion première de voir et entendre un texte se transmettre là où on ne l’attendait pas, le plus beau, c’est la compréhension et l’usage qu’en font ces lycéens. Ils ne se contentent pas d’apprendre par cœur, mécaniquement, juste pour se conformer au programme ou simplement pour faire plaisir à leurs parents (ou au réalisateur).
Leurs commentaires sur le roman sont fins et personnels. Chacun, chacune relie cette histoire d’amour absolu à ce qu’il, elle vit, à ses propres élans, désirs, hésitations, à sa condition sentimentale et sexuelle.
Chacun, chacune s’y reconnaît, s’identifie à la princesse, au prince ou au duc de Nemours, ou y reconnaît ses copains ou copines. La Princesse de Clèves comme reflet des flux sentimentaux lycéens ou mode d’emploi existentiel contemporain, toutes classes sociales confondues : peut-on rendre mieux justice au roman de Madame de La Fayette ? Ou mieux répondre à Sarkozy ?
Et puis il y a les parents et le personnage, essentiel, de la mère de la princesse. Beaucoup identifient la mère, ses inquiétudes, ses conseils, à leurs parents. Parfois, cette identification est positive, quand ils les voient comme guides ou gardiens de leur intégrité morale ; parfois, elle est critique, quand on sent que les principes moraux des parents les entravent dans leur liberté relationnelle.
Les parents sont présents dans le film : souvent d’origine étrangère, ne parlant pas tous un français parfait, leur plus cher désir est de voir leur progéniture s’intégrer, même s’ils ne le formulent pas ainsi, insistant surtout sur la réussite scolaire.
Nous, princesses de Clèves paraît s’inscrire dans le sillage de films récents tels que L’Esquive ou Entre les murs. Pourtant, Régis Sauder révèle que ses lycéens marseillais “se sont sentis très proches du film de Christophe Honoré, La Belle Personne, parce qu’ils partagent avec ces personnages quelque chose d’ardent, de vital dans leur relation au texte. Par contre, ils réagissaient plus durement avec des films qui leur sont socialement plus proches parce qu’ils y voient une caricature d’eux-mêmes. Ils ont envie de s’approprier ce qui est différent d’eux, ce qui les élève, non pas leur image déformée.”
Ce propos, a priori paradoxal mais au fond logique, résume parfaitement la tonalité esthétique, éthique et politique d’un film qui évite les clichés sociologiques et le prêt-à-voir.
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