Un film peut-il intervenir directement sur le monde ? réponse au Brésil et en Israël avec deux documentaires.
Quoi de commun entre des trieurs d’ordures brésiliens et un bébé palestinien atteint d’une grave maladie génétique ? A priori, rien.
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Pourtant, de nombreux points communs relient ces deux documentaires. Le filmage “en direct” façon reportage. Le suivi d’une histoire sur plusieurs années. L’utopie selon laquelle un film peut influer sur le réel.
L’échafaudage de ponts fragiles au-dessus de fossés béants (entre deux peuples ou entre deux classes sociales). La primauté de la force d’un sujet sur le souci de la forme. Un niveau métadiscursif qui inclut doutes et autocritique sur le film en train de se faire.
Dans Waste Land, l’artiste brésilien Vik Muniz photographie des chiffonniers de la plus grande décharge d’ordures de Rio (lieu hallucinant), puis les fait participer au travail sur lesdites photos en utilisant les déchets comme accessoires artistiques.
Le film interroge la question des ordures, leur recyclage, le processus créatif, les relations entre l’art et l’engagement social. Si Muniz n’a pas changé le monde, ni le Brésil, il a transformé la vie et l’état d’esprit de quelques habitants des favelas, leur redonnant courage, fierté, estime de soi.
Lucy Walker filme cette aventure avec empathie, cédant parfois à quelques facilités émotionnelles (musique surlignante, larmes plein cadre, flirt avec les ficelles des reality shows…). Mais la puissance indéniable du sujet et la beauté du “casting” emportent le morceau.
Shlomi Eldar, lui, a suivi plusieurs mois un petit Palestinien soigné dans un hôpital israélien, grâce au dévouement d’un médecin et de son équipe (et au don financier d’un Israélien anonyme). Preuve que derrière le conflit et les gros titres des médias, il existe aussi de fragiles mais réelles passerelles entre les sociétés civiles.
Pas exempt lui non plus de trucs télévisuels unanimistes, Precious Life ne fonctionne pas que sur le consensus angélique, comme dans la scène saisissante où la mère explique au réalisateur abasourdi que si son bébé survit, elle serait contente qu’il devienne ensuite martyr de la cause palestinienne.
C’est la plus précieuse qualité de Precious Life : entretenir l’espoir sans s’illusionner sur les motifs de désespérance de cette région.
On pourrait reprocher aux deux films de glisser par moments vers le spectacle caritatif. Dans les deux cas, le “dominant” sauve le “dominé” et les films exhibent leur vertu.
Mais cette réserve est balayée par la personnalité des “dominants” (l’artiste et le médecin sont sincèrement animés du souci de l’autre) et parce que les deux films accordent un temps d’images et de parole conséquent aux “dominés”, rendant justice à leur qualité de sujets autonomes.
Si la politique ou l’économie les infériorisent, ces deux films les rendent égaux aux autres au moins devant une caméra.
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