Alors que deux sympathisants UMP sur trois seraient favorables à des accords locaux avec le FN, retour sur les scrutins emblématiques d’un rapprochement entre les deux formations.
L’UMP a finalement opté pour le « ni-ni » pour le deuxième tour des législatives. Ni Front national, ni Front républicain. En clair, pas de soutien à la gauche pour barrer la route à l’extrême droite, mais pas d’accord non plus avec les frontistes. Une stratégie considérée, par de nombreux observateurs, en France ou à l’étranger, comme un pas de plus de l’UMP en direction du FN.
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Ce positionnement est-il vraiment une première ? « A chaque fois que la droite est en difficulté, elle est tentée par un rapprochement en direction du FN, analyse Jérôme Sainte-Marie, directeur du département opinion chez CSA. Dans les années 1980, lorsque Le Pen soutenait un candidat de la droite classique, cela ne posait aucun problème. Le rejet s’est construit progressivement sous l’impulsion de Jacques Chirac ». La réaction de l’UMP s’apparenterait donc plutôt à un retour aux origines.
Aujourd’hui, deux sympathisants UMP sur trois seraient favorables à des accords locaux avec le FN*, tandis que la popularité de Marine Le Pen grimpe chez eux à 32% d’opinions positives**. On est donc allé demander à Alexandre Dezé, maitre de conférence en sciences politiques à l’Université Montpellier I, et auteur du livre Le Front national : à la conquête du pouvoir (Armand Colin, 2012), de revenir sur les scrutins emblématiques des rapprochement entre droite classique et extrême droite.
• Municipale de Dreux de 1983
C’est la première victoire électorale du FN. La liste menée par Jean-Pierre Stirbois parvient à se maintenir au second tour et fusionne avec celle du candidat UDF-RPR, Jean Hieaux. Quatre représentants du parti d’extrême droite sont ainsi élus à l’exécutif de la ville. C’est la première fois qu’une ville est co-gérée par le FN.
Dreux n’a été un “tournant” que parce que le FN a réussi son décollage électoral par la suite. A l’époque, cette alliance n’avait pas fait scandale au sein de la droite qui, pour se défendre, fustigeait l’alliance des socialistes avec les communistes [au sein du gouvernement Mauroy]. Cet argumentaire est aujourd’hui repris par l’UMP lorsqu’elle dénonce les ententes supposées entre PS et Front de gauche, analyse Alexandre Dezé.
A droite, comme le note Le Monde, Simone Veil et Bernard Stasi sont les rares voix appelant à refuser toute alliance électorale avec le FN. Il faudra attendre 1985 pour que Jacques Chirac, alors maire de Paris et chef de l’opposition au président Mitterrand, se range derrière cette consigne.
• Municipales de 1989
Les élections sont marquées par l’irruption du FN sur le plan local, qui gagne la première mairie de son histoire, à Saint-Gilles, dans le Gard. Et si c’est le rapprochement de l’UMP vers le FN qui inquiète aujourd’hui, l’inverse s’est également produit, notamment en cette année 1989 :
Ce sont les dernières élections où il y a eu un soutien aussi franc de l’extrême droite en faveur de la droite modérée, même s’il n’y a pas vraiment eu d’alliances formelles. Le FN avait en effet soutenu des listes de droite dans une trentaine de villes de plus de 9000 habitants. Par la suite, les ténors de la droite vont adopter une position plus franche vis à vis du FN en condamnant alliances et soutiens. Mais cette dynamique de front républicain ne vas empêcher certains leaders du RPR et de l’UDF de reprendre les thématiques du FN pour tenter d’attirer son électorat, poursuit Alexandre Dezé.
• Régionales de 1998
Cette élection est marquée par la victoire de la gauche, arrivée en tête dans la majorité des régions. Dans la plupart des parlements régionaux, elle ne possède pourtant pas la majorité absolue. Ce qui pousse cinq têtes de liste de droite à faire alliance avec le FN pour se faire élire à la présidence de leurs régions respectives. Ce revirement de situation sera baptisé « vendredi noir ».
C’est pour moi l’élection la plus emblématique du rapprochement entre droite et FN. Ce dernier obtient un gros score et manifeste dès le lendemain son soutien aux élus de droite, à condition que tous se mettent d’accord sur un programme minimum commun. Cela réussit dans certaines régions. Hors, chose étonnante, les frontistes renoncent dans ce programme aux fondements même de la doctrine du parti, à savoir la préférence nationale », raconte Alexandre Dezé.
A l’époque, si la plupart des électeurs de droite rejettent cette entente avec le FN, ils n’exigent pas pour autant la démission des présidents élus grâce au soutien de l’extrême droite. Pierre Giacometti, alors directeur général de l’institut de sondage Ipsos, commentait le 16 avril 1998 :
Au lendemain du vote du 15 mars, la proportion de ceux [dans l’électorat RPR-UDF] qui prônent une tactique de compromis avec le Front national dépasse désormais nettement les 30%. Au regard de ces chiffres, l’année 1998 restera bien comme une étape importante dans l’évolution des attitudes d’une partie de l’électorat RPR-UDF face au Front national.
Et les législatives de 2002 et 2007 ?
En 2002, la position du camp Chirac est ambigüe au lendemain de la victoire de son leader contre Jean-Marie Le Pen à l’élection présidentielle. Après le premier tour des législatives, l’UMP est en position de force sur le plan national, et la ligne officielle est la suivante : pas de compromis avec le FN. Pourtant, les ténors de droite, comme Jean-Claude Gaudin alors vice-président du Sénat, n’appellent pas explicitement à soutenir les candidats de gauche pour contrer le FN. Certains candidats UMP, dix ans avant Nadine Morano, incitent les électeurs des partis d’extrême droite à voter pour eux, comme Christophe Masse dans les Bouches-du-Rhône. Jean Kiffer, ancien maire d’Amnéville (Moselle), se dit même « très fier » d’avoir reçu le soutien de Jean-Marie Le Pen.
Il n’y a jamais eu de rejet catégorique du FN de la part des partis de la droite classique. Elle a certes eu l’habitude d’appeler à un Front républicain pour contrer le parti d’extrême droite au niveau national, mais les jeux d’alliance sur le plan local ont toujours eu lieu. Je suis au final assez surpris en voyant qu’on s’étonne, aujourd’hui, d’un effondrement de la digue séparant l’UMP et le FN, commente Alexandre Dezé.
Quant aux législatives de 2007… la question d’une stratégie anti-FN ne s’est même pas posée. Le FN était alors au plus bas avec une seule candidate qualifiée pour le deuxième tour, Marine Le Pen. L’UMP, aux côtés du Modem et des communistes, avait alors décidé de faire bloc derrière le candidat de gauche. Sur le plan national, seuls quelques franc-tireurs de la droite appelleront à soutenir la candidate frontiste comme Michel Caldagues, ex-sénateur RPR, pour qui les convictions de Marine Le Pen « répondent à la volonté de rénovation nationale exprimée par les Français ». Un argumentaire dont s’inspirent toujours, aujourd’hui, certains candidats de droite aux législatives.
Gabriel Siméon
*Sondage Ipsos/Logica Business Consulting réalisé du 7 au 9 juin par internet auprès d’un échantillon de 3 087 personnes inscrites sur les listes électorales, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Méthode des quotas.
**Sondage réalisé par CSA pour Les Echos. Enquête réalisée par téléphone du 22 au 23 mai 2012 avec un échantillon de 1005 personnes. Marge d’erreur: environ 3,1%.
Article mis à jour le 13/06/2012 à 18h22
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