Un chanteur revisite son territoire d’enfance. Onirique, drôle et enthousiasmant.
C’est un film où Katerine ne chante pas une note, puisque son personnage (Philippe) déchante. Philippe ressemble pourtant beaucoup à Katerine : même corps, même présence lunaire, même fantaisie non calculée, même métier.
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En même temps, Philippe n’est pas Katerine, mais le personnage principal d’une fiction intitulée Je suis un no man’s land, le deuxième long métrage de Thierry Jousse, ex-rédac chef des Cahiers.
Le no man’s land, c’est peut-être cet état indécidable entre un chanteur-acteur et un personnage qui lui ressemble, c’est aussi l’état de Philippe, errant tel un somnanbule sur ses terres d’enfance.
Thierry Jousse part en effet d’un pitch ultraclassique : celui du retour de l’enfant prodigue, en l’occurrence un chanteur à succès qui revient dans sa province et y revoit ses parents maussades, ses anciens copains et copines revanchards. Sur cette figure imposée, Jousse insère un certain nombre de figures libres gracieuses, et qui lui ressemblent.
D’abord, beaucoup de fantaisie, de l’ex-amoureuse de lycée devenue groupie foldingue (une Judith Chemla de feu) à la spécialiste des oiseaux rencontrée la nuit en forêt (Julie Depardieu, inattendue puisqu’elle incarne ici la raison), en passant par des situations à la lisière du fantastique : ainsi, Philippe est littéralement retenu dans son bled, sa voiture stoppant puis reculant irrésistiblement passé la sortie du village.
Ce joli coup de force irréaliste est simple comme bonjour, réalisé sans effets spéciaux, il suffisait juste de le décréter ainsi. Quant à Katerine, on ne sait s’il est un no man’s land, mais il est certainement un film à lui tout seul, du cinéma fait homme à l’instar de Jean-Pierre Léaud, seul acteur à qui l’on songe pour étayer ce mélange unique et antinaturaliste de tragique et de comique.
Toute cette légèreté est contrebalancée par les parents de Philippe (Aurore Clément égale à elle-même, Jackie Berroyer, excellent à contre-emploi), beau couple vieillissant et avare de mots, qui incarne la pesanteur figée de la province, les renoncements de l’âge adulte, la débandade de la vieillesse, tout ce qu’à fui un jour Philippe – avec la culpabilité qui va avec.
Le vieux scénario familial (dans lequel on peut aussi lire une part autobiographique élégante et pudique) est ici réinvesti avec modestie, comme un matériau à la Pialat attendri et allégé par une louche de Moulet par ci, une pincée de Demy par là, ou encore un soupçon de Rozier, cartographie de référents qui renvoie à la géographie cinéphile et critique de l’auteur.
On pourrait y ajouter son goût pour la pop et le jazz, à travers les ruptures de ton, les mélanges de genres ou enchaînements saugrenus qui parsèment le film. Il existe des films balourds ou prétentieux sur des sujets légers : Je suis un no man’s land est tout le contraire, abordant des thèmes sérieux sans se pousser du col. Vive, allègre, l’association Jousse-Katerine pétille comme un bon vin de soif.
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