Un programme de films courts qui, sous son apparence discontinue, reflète bien le cohérence de l’oeuvre que Jean-Marie Straub poursuit sans Danièle Huillet.
Comme un titre de chanson est parfois aussi le titre d’un album, O somma luce est à la fois le titre du nouveau film de Jean-Marie Straub et celui d’un programme d’une heure quatorze réunissant plusieurs courts et moyens métrages.
En préambule, Europa 2005, signé Straub-Huillet : deux plans-séquences du générateur EDF dans lequel périrent deux adolescents coursés par la police.
Ce court métrage se termine par un carton qui assimile cette tragédie à une version contemporaine de la chambre à gaz et de la chaise électrique : c’est muet, mais on entend mentalement tonner la voix de Straub lisant ce carton.
Formellement secouant, cinglant comme un tract, mais historiquement et politiquement très discutable, comme tout slogan, comme le CRS = SS de 68 auquel il fait penser. De quoi susciter de féconds débats sur la fin-les moyens, la violence (d’Etat) qui appelle la violence (esthétique), etc.
Ce court passe cinq fois, selon cinq prises différentes, comme une adaptation cinéphile du jeu des sept erreurs : ici une lumière changeante, là un chien qui aboie… Pédagogie typiquement straubienne de l’unicité d’un plan, qui sollicite le spectateur jusqu’aux marges de l’inconfort.
Deuxième temps du programme, Corneille-Brecht ou Rome, l’unique objet de mon ressentiment, du Straub à l’os, si cela est concevable pour un cinéaste peu connu pour ses superproductions.
Filmée en plan fixe dans un appartement, la comédienne Cornelia Geiser lit des extraits d’Horace et d’Othon de Corneille, puis, assise dans un fauteuil, un extrait d’une pièce radiophonique de Brecht.
C’est une lecture, et Straub n’en cache rien : la comédienne tient le texte en main, le déclame dans une diction claire, scandée, musicale, antinaturaliste. Straub revient à Corneille et à Brecht et, comme toujours, son souci est le texte et son incarnation par la parole.
Il s’agit de faire sonner les phrases, de les faire entendre jusqu’à les faire voir. Et accessoirement, de chercher les assonances et dissonances entre deux auteurs à quelques siècles de distance.
Ensuite, O somma luce, dernier chant du Paradis de la Divine Comédie de Dante. Cela commence par quelques minutes d’écran noir pendant lesquelles on entend un concert d’Edgar Varese donné dans les années 50.
Puis on se retrouve en couleurs dans la lumière de Buti, en Toscane, qui ces dernières années est devenue le Monument Valley des Straub. Assis au vert (tel un Indien ?), un comédien du théâtre municipal de Buti (un homme seul, comme Straub ?) déclame le texte de Dante alors qu’un long et lent panoramique caresse les collines boisées.
Comme Corneille et Brecht se rejoignaient dans la voix d’une actrice, Varese et Dante dialoguent par le biais d’un acteur toscan de maintenant.
A priori disparate, ce programme est pourtant cohérent et résonne avec tout le corpus straubien : choix électif d’auteurs et de musiciens, comédiens singuliers (les acteurs-citoyens de Buti, travaillant avec Straub depuis Ouvriers, paysans), simplicité des dispositifs, centralité du couple texte-voix.
Parfois les images font entendre (Europa 2005), parfois la parole fait voir (Corneille-Brecht), et parfois images et sons dissociés s’associent (O somma luce).
A travers ces deux derniers films signés seul, Jean-Marie Straub continue sans doute de converser (et de s’engueuler ?) avec la défunte Danièle Huillet, hypothèse émouvante d’une relation qui se prolonge au-delà de la mort, par le travail.
Cette sensualiste leçon de cinéma, de vie, de fidélité, sera donnée au Reflet Médicis (Paris Ve), en présence de Straub et d’invités tels que Serge Bozon, Pedro Costa ou Jacques Rancière.