Le contemplatif cinéaste lituanien s’essaie avec brio au film noir.
Bartas goes classic! Ou presque. Indigène d’Eurasie, c’est un mix entre l’écriture que l’on connaît et que l’on aime du cinéaste lituanien (stases contemplatives, mutisme, plans au cordeau, humanité ruinée…) et le film noir que l’on connaît et que l’on aime tout autant (trafics, trahisons, femmes fatales, fuites, règlements de comptes…).
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Au début, on craint que la singularité du cinéaste lituanien ne se dissolve dans un matériau cinématographique plus balisé sans pour autant remporter complètement le pari du genre. Et puis finalement, la mise est gagnante : alors que la vision de Bartas s’ouvre au récit et au classicisme, le film noir se reféconde au contact d’une mélancolie slave aussi puissante que rare dans un genre habituellement dominé par les corps et les lieux américains ou extrême-orientaux.
Indigène d’Eurasie débute de façon très inattendue à l’île d’Yeu. Gena y conclut un deal de dope. Ensuite, avec sa copine française, il retourne une dernière fois en Lituanie pour y récupérer les 200 000 dollars que lui doit un parrain local et prendre ensuite sa retraite de gangster. Comme il sied aux règles dramaturgiques du genre, ce scénario rêvé subira de multiples et brutales métamorphoses.
Mais l’originalité du film se situe ailleurs que dans cette classique trame noire. Gena, c’est Bartas lui-même : beau blond un peu usé, regard triste et dur, corps et visages faits pour la caméra. La Française, c’est Elisa Sednaoui. Cette beauté brune un brin métèque est contrebalancée par Sasha (Klavdia Kornushova), fausse blonde russe au corps musclé et aux traits légèrement asiatiques.
A ce casting non formaté correspondent des lieux peu filmés. Si les panoramiques de Paris, de Vilnius ou de Moscou se ressemblent, avec leurs gratte-ciel et leurs néons, mondialisation oblige, Bartas nous emmène également dans la vieille ville de Vilnius avec ses coquettes ruelles pavées, dans les appartements glauques de l’Est ou sur les routes enneigées de Lituanie, de Biélorussie et de Pologne.
Au détour d’églises russes, de forêts de bouleaux, de maisons en bois, des fantômes passent : Dostoïevski, Loznitsa (dont My Joy est actuellement à l’affiche), voire la Shoah ou le goulag, quand Gena/Bartas, tout nu, se réchauffe près d’un feu dans un sous-bois enneigé.
A travers les péripéties de son récit noir, Bartas filme l’Europe de la mondialisation libérale et de la dislocation sociale, dans son style épuré et laconique habituel.
Au fil de ce road-gangsters-movie, il invente des plans à couper le souffle, mais d’une beauté plus vivante, moins statufiée que dans certains de ses précédents films.
Indigène d’Eurasie exsude une mélancolie profonde, une tristesse poisseuse qui s’insinue sous la peau. Mais cette noirceur blanche, brumeuse, dénuée de pathos, fait aussi la beauté précieuse de cette balade tragique.
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