Un homme tronc mutilé à la guerre devient une relique adulée par la patrie. Iconoclaste et tranchant.
Avec Kôji Wakamatsu, aucun risque de s’ennuyer. Virulent, radical, extrémiste, le cinéaste gratte depuis longtemps les plaies de la société japonaise et ce nouveau film prouve de façon éclatante qu’il ne s’est nullement assagi avec l’âge.
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Le Soldat dieu est un brûlot rageur, un coup de sabre tranchant dans le militarisme, le nationalisme et le patriarcalisme. Pour en donner une vague idée, quelque chose entre L’Empire des sens, Rambo, Freaks et Johnny Got His Gun.
Le lieutenant Kurokawa revient de la guerre sino-japonaise couvert de médailles… mais privé de ses bras et de ses jambes, perdus dans les combats. Cet homme-tronc atrocement diminué, à jamais handicapé, fait figure de héros et, sous la double injonction militaire et sociétale, doit être exhibé comme tel dans les rues de son village.
Il revient à son épouse, Shigeko, d’entretenir son héros de mari tel une relique patriotique : non seulement l’armée lui a rendu un demi-homme, mais elle doit de surcroît le nourrir, le laver, l’habiller et le promener régulièrement dans son fauteuil roulant. Il y a un mélange de cruauté et de grotesque dans la façon dont Wakamatsu montre un homme à la fois mutilé et statufié, et une femme contrainte de se plier jusqu’à l’humiliation à un devoir national en forme de grossier simulacre.
Mais la révolte sera féminine ou ne sera pas. Shigeko se lasse petit à petit de son rôle (de composition) d’infirmière à perpète de son demi-mari et de vestale du moral national. D’autant que sexuellement, ce n’est plus ça (les séquences charnelles sont parmi les plus fortes et dérangeantes du film). A force de soumission aux hommes et aux devoirs nationaux, Shigeko se rebelle avec une rare stridence.
Les hurlements et les reproches qu’elle adresse à son handicapé d’époux explosent les limites du politiquement correct (une victime s’en prend à une autre), mais c’est tout l’opium du peuple nationalo-militariste que le film secoue à travers la révolte de Shigeko (interprétée par la magnifique Shinobu Terajima).
Tel Flaubert, Wakamatsu pourrait sans doute s’écrier “Shigeko, c’est moi !” Le Soldat dieu se passe il y a soixante-dix ans, mais son âpreté, sa colère, son féminisme, son tempérament iconoclaste sont d’aujourd’hui, et probablement de tout temps.
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