Chroniques des vanités bourgeoises dans une Amérique sixties aux airs de pochette de disque easy-listenning. Un grand film peu vu.
C’est un des secrets les mieux gardés du cinéma américain. Longtemps inconnu et invisible, anomalie hollywoodienne comme les studios savaient en produire dans les années 60 et 70, The Swimmer est un chef-d’œuvre.
Un homme, Neddy Merrill, fait sa réapparition surprise dans la piscine d’un couple d’amis après une longue absence. Nous sommes dans la vallée du Connecticut, dans la bonne société wasp où le temps (grand sujet de The Swimmer) semble s’être arrêté entre deux cocktails et une barbecue party.
Au gré de la conversation, Neddy découvre qu’il lui est possible de nager de piscine en piscine jusqu’à sa maison, et décide de relever le défi. “I am swimming home” deviendra le leitmotiv du film, le seul de l’histoire du cinéma (à notre connaissance) où le personnage principal est en maillot de bain de la première à la dernière image.
Cet homme, c’est Burt Lancaster, 52 ans et dans une forme physique éblouissante, entretenue par des séances de sport et de musculation intensives avant le tournage (réalisé en 1966, le film attendra deux ans avant de connaître une sortie confidentielle).
Burt Lancaster a toujours considéré The Swimmer comme son plus grand rôle et son meilleur film, malgré sa faible notoriété en regard des nombreux classiques interprétés par la star tout au long de sa carrière.
Au-delà d’un probable délire narcissique de Lancaster, sublime en athlète désorienté, on ne peut que comprendre son attachement à ce film dont il est de toute évidence le véritable auteur. Frank Perry, curieux cinéaste à la filmographie erratique, quitta même le plateau pour “divergences artistiques” et quelques scènes furent tournées par Sidney Pollack, qui venait de mettre en scène Lancaster dans Les Chasseurs de scalps.
The Swimmer est une allégorie désenchantée sur les mirages de l’american way of life, une critique du culte de la réussite sociale, la description impitoyable d’un monde bourgeois superficiel, aseptisé et autarcique.The Swimmer, dans les marges du Nouvel Hollywood, est un bel objet postmoderne toujours à deux brasses du kitsch absolu mais dont le culot, énorme, s’accompagne d’une extraordinaire intelligence.
Chaque plan ressemble à une pochette de disque easy-listening tandis que le récit, rythmé par les immersions aquatiques du nageur qui sont autant de voyages à travers la mémoire et le temps, dévoile par bribes les blessures et les échecs d’une vie. Ce voyage au bout du néant se permet des incartades bucoliques au ralenti, comme cette incroyable course entre Neddy et un étalon noir, ou sa brève échappée avec une troublante adolescente en bikini.
Puisque The Swimmer a été trop rarement vu et commenté, et que cette reprise dans les salles (après celles d’Electra Glide in Blue et Abattoir 5, félicitations au distributeur Splendor) est providentielle, on se gardera d’en dévoiler ici la fin, stupéfiante de tristesse, digne d’une chute de La Quatrième Dimension filmée par Alain Resnais.