Hitchcock première période, anglaise et muette. Déjà saisissant formellement.
Plonger un homme dans l’épreuve de la culpabilité, plonger une femme dans l’épreuve du plaisir coupable : ce double programme qui sera celui de ses films américains, Hitchcock l’expérimente déjà dans son troisième film, muet, tourné en 1926 alors qu’il est encore en Grande-Bretagne.
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Le personnage de Jack l’Eventreur en fournit lointainement la trame. A Londres, un serial-killer tue exclusivement de blondes jeunes femmes, signant ses crimes du nom du “Vengeur”.
Très vite, il attire l’attention : d’une élégance déplacée, il est la proie de phobies qui le rendent rapidement louche. La jeune fille de la pension s’amourache de lui tandis que le fiancé de cette dernière, un policier, s’acharne à prouver sa culpabilité.
Dans le rôle de la femme qui préfère frôler le danger plutôt qu’être sauvée, la toute frêle June. Dans le rôle du premier faux coupable de la filmographie hitchcockienne, Ivor Novello, totalement atypique dans le cheptel d’acteurs du cinéaste, qui préférera bientôt des acteurs nonchalants (Cary Grant) ou dont l’intelligence le dispute à la névrose (James Stewart).
Ivor Novello était une star à l’époque, compositeur à succès de chansons avec un physique de jeune premier, brun aux yeux ardents et au teint d’albâtre. Il était aussi, nonobstant son statut de séducteur, officiellement homosexuel et engagé en ce sens. Curieusement, il fera le remake parlant (dans un film de Maurice Elvey) de ce rôle de faux serial-killer quelques années plus tard.
Il apporte quelque chose d’excessivement littéraire à son personnage, le drapant dans de funestes volutes promptes à hypnotiser les jeunes filles, sans la dimension sarcastique des séducteurs américains qui s’interdiront toute pâmoison.
Le romantisme XIXe siècle de Hitchcock, encore présent dans la période anglaise, se fera plus enfoui dans sa période américaine, mais suffisamment tenace (les flash-backs de Rebecca ou de L’Auberge de la Jamaïque, les chevauchées de Marnie, l’océan dans Vertigo) pour faire pendant à la perversité si célébrée de l’auteur.
L’économie visuelle du film impressionne par sa manière d’ordonner un nombre réduit et significatif de décors (l’escalier de la pension par exemple, avant-écho de ceux de Psychose et des Enchaînés), la grammaire saisissante du découpage, l’angoisse diffuse de l’ambiance, le resserrement paranoïaque du monde.
La période américaine apportera une incarnation souple et un humour supplémentaires.
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