Dans un monde post-chaîne alimentaire, les animaux ont organisé socialement leur cohabitation. Un film d’animation foisonnant et drôle.
A ne raconter que des histoires d’animaux, le cinéma d’animation (la proximité étymologique n’est pas innocente et part du latin “âme”) a par défaut et depuis toujours gambergé sur des problèmes d’apprivoisement et de docilité.
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Que gagne-t-on, que perd-on à civiliser sa part sauvage : ce fut la grande question du studio d’animation de Spielberg, Amblimation (voir Balto ou le finale frappant des Quatre Dinosaures) et c’est aussi bien sûr celle de Disney, qui à l’occasion lui a même formulé des réponses étonnamment sombres (Rox et Rouky, Le Livre de la Jungle) quand on connaît la réputation gentillette et consensuelle du géant de l’entertainment.
Avec Zootopie, la question prend l’ampleur d’une véritable fiction d’anticipation, projection oscillant indécidablement de l’utopie à la dystopie. Le film prend place dans un futur cosmopolite peuplé d’animaux de toutes les espèces ayant organisé leur coexistence, dans une société où se sont estompées les vieilles différenciations de la chaîne alimentaire.
Un vivier prodigieusement fertile
Estompées, mais pas disparues, puisque l’héroïne Judy, première lapine engagée dans les forces de police, fait l’objet de grossières railleries de la part de ses collègues buffles et rhinocéros – avant de gagner ses galons en s’attelant à une épineuse enquête : ici et là, dans la ville, des citoyens deviennent mystérieusement “violents”. Chassez le naturel…
Deux qualités élémentaires sont à reconnaître à Zootopie. Celle d’abord d’être un vivier prodigieusement fertile, s’amusant avec brio des variétés de tailles et de tempéraments des espèces, constituant in fine une sorte de recueil de fables de La Fontaine taillé sur mesure pour le melting-pot urbain. Celle ensuite de faire jaillir à l’écran un stade d’expressivité des animations faciales totalement inédit, qui confère à la moindre scène un pouvoir quasi hypnotique.
Deux atouts à la fois réjouissants et néanmoins presque attendus, le film étant le challenger annoncé d’une certaine Reine des neiges dans le cœur des kids. Mais il faudrait en ajouter un troisième, plus retors, qui est l’intelligence avec laquelle il déroule les imbrications de son concept initial, à la fois très fortement lié à l’identité la plus primitive de Disney et extrêmement proche de pensées contemporaines, dont le film constitue une illustration à la sauce entertainment tout à fait inattendue (Zoopolis, essai de philosophie morale de Sue Donaldson et Walter Kymlicka et hit de la réflexion sur les droits animaux).
Rien de plus épineux, dans un Disney, que le surgissement du sauvage : moment impensable où des héros tout sourire se sautent au cou pour s’entredévorer. Jamais le studio n’avait aussi littéralement mis en scène ce refoulé primitif : Zootopie, en plus d’installer un univers foisonnant et réjouissant, met aussi le linge sale sur la table. Ce sésame de l’enfance, propriété presque exclusive de Disney, ce vieux rêve éveillé qu’est la coexistence paisible de toutes choses, est-il un rêve ou un cauchemar ? Le magma brûlant du sauvage et le sucre doux de la vie commune n’ont jamais été aussi concomitants.
Zootopie de Byron Howard et Rich Moore (E.-U., 2016, 1 h 48)
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