Une chasse au trésor dans un quartier de la moyenne bourgeoisie roumaine. Une métaphore politique cinglante.
Corneliu Porumboiu fut un des hérauts de ce nouveau cinéma roumain qui, au milieu des années 2000, récoltait les prix cannois. Tandis que son premier long métrage, 12 h 08 à l’est de Bucarest, obtenait la Caméra d’or en 2006, Cristi Puiu raflait le prix Un certain regard en 2005 (pour La Mort de Dante Lazarescu), deux ans avant la Palme d’or de Cristian Mungiu (pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours).
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Porumboiu est probablement celui qui offre les meilleurs gages de filmo durablement intéressante. Après des comédies grinçantes (12 h 08 à l’est de Bucarest, Policier, adjectif…), des films plus conceptuels (la fiction Métabolisme, le docu Match retour…), Porumboiu confirme son excellence en matière d’humour pince-sans-rire, d’ironie grinçante, de proposition formelle forte et de vigueur politique en contrebande.
Un étrange deal
Son nouveau héros est Costi, jeune père de famille, cadre plus ou moins dynamique, membre de la nouvelle bourgeoisie urbaine montante de Bucarest. Un soir, son voisin sonne à sa porte pour lui proposer un étrange deal : persuadé qu’un trésor est enfoui au fond du jardin de son père décédé, il veut taper Costi de quelques billets afin d’acheter un détecteur de métaux pour repérer le supposé trésor ; en échange du service, il offre à Costi une part du futur et hypothétique magot.
A lire ces prémisses, on voit déjà tout le potentiel tragicomique de la situation, son allumage de toutes les dialectiques éthiques et morales possibles. Le voisin est-il un vulgaire arnaqueur ou un type sincère ? Costi doit-il se lancer dans un investissement aussi improbable qu’un trésor ? Par ailleurs, en admettant que pluie d’or il y ait, on sait ce qu’il advient quand il s’agit de partager un butin, de nombreux films (voire la vie) nous l’ont enseigné : en voulant deux “tu l’auras ” plutôt qu’un “tiens”, on court à l’échec – c’est la morale courante, de L’Ultime Razzia à Mélodie en sous-sol en passant par Quand la ville dort ou No Country for Old Men.
Une société contaminée par l’égoïsme
Il faut voir comment Porumboiu filme les négos entre Costi et son épouse, les arrangements avec les supérieurs hiérarchiques pour manquer des journées de boulot et s’occuper de sa chasse au trésor : c’est à la fois désopilant et glaçant, filmé en plans fixes et grisâtres, et ça dépeint en intertexte une société roumaine rongée par l’appât du gain, contaminée par l’égoïsme naissant entre les interstices d’une parano ceaucescuienne toujours prégnante.
Et puisqu’on évoque Ceaucescu, le film nous apprend ensuite que de nombreuses familles roumaines avaient planqué leurs économies au moment de l’avènement du régime par crainte de se faire dépouiller au nom de l’avenir radieux du communisme. L’hypothèse du trésor devient donc historiquement crédible !
Grâce et précision
L’achat du détecteur de métaux, puis la recherche du graal sous la pelouse avec les bip bip récurrents et agaçants de l’appareil sont d’autres séquences aussi désopilantes qu’intensément narquoises. A la métaphore sociopolitique s’ajoute une observation impitoyable quoiqu’amusée de la nature humaine dans ce qu’elle peut revêtir de glorieux ou de pathétique. Porumboiu imprime à chaque scène un intérêt en soi doublé d’une signification qui l’excède, politiquement ou philosophiquement.
Sans déflorer l’issue de ce conte moderne, disons que le mélange de grâce et de précision, d’inspiration humoristique et dramaturgique et de rigueur scénaristique et formelle baigne ce film jusqu’à ses ultimes moments. Il existe des desserts qui marient parfaitement le chaud et le froid : Porumboiu en propose ici l’équivalent cinématographique et ça n’a rien de tiède. Le trésor, c’est ce film.
Le Trésor de Corneliu Porumboiu (Rou., Fr., 2015, 1 h 29)
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