Chronique documentaire d’une famille irakienne avant et pendant l’occupation américaine. Une somme élégiaque.
Ce documentaire fleuve de 5h34 en deux parties (Avant la chute et Après la bataille) est le grand œuvre d’Abbas Fadhel. Né en Irak mais vivant en France depuis des décennies, Fadhel n’a cessé de filmer son pays d’origine (des documentaires et une fiction). Dans ce Homeland, à ne pas confondre avec une série américaine du même nom, le cinéaste retourne en Irak, une fois en 2002 et une autre en 2003, avant et après le déclenchement de la guerre par les Etats-Unis (mars 2003).
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Il filme essentiellement sa famille, mais aussi, énormément, l’arrière-plan, le quartier, la ville, les rues, les universités, les commerces, les immeubles détruits (dont les impressionnants décombres des studios de cinéma). En gros, ce film c’est “la maison et le monde”. La maison, c’est plutôt la première partie, frères, neveux et nièces, etc. Home sweet home, rires, routine, insouciance, avec tout de même le spectre de la guerre qui se profile à l’horizon.
Guerre d’occupation
Le monde, c’est le second volet, où les joies et les jeux (des enfants) persistent, mais où le danger rôde partout dans Bagdad et a chamboulé le quotidien. La force et la beauté de ce home-movie, impeccable chronique de la vie quotidienne à Bagdad en temps de guerre, c’est de mêler constamment le familier et l’insignifiant à l’horreur et à la mort. Pas de bataille rangée, pas de combattants en armes – hormis bien sûr les troufions américains omniprésents qui affichent une certaine sérénité. C’est une guerre d’occupation plus que de conquête.
Le corollaire de cette présence américaine, de cette invasion accompagnée par des bombardements et des destructions, qui ont semé le chaos en Irak, c’est l’absence de règles et de garde-fous. Plus de Saddam, de parti Baas, ni de répression. La liberté de la presse règne (on est passé de 3 quotidiens à 58), et beaucoup de langues se délient sur les méfaits du dictateur déchu dont tout le monde semble content d’être débarrassé. Cela n’empêche pas la situation d’être désastreuse : problèmes d’alimentation, de travail, désorganisation, absence des institutions, et donc insécurité permanente.
Voile funèbre
L’Irak est devenu un no man’s land violent. Pillages, attaques et meurtres dus à des bandits isolés ou à diverses factions sont devenus la norme. Une inquiétude permanente et insidieuse plane tout le long de la deuxième partie, et se soldera d’ailleurs par un choc tragique. L’événement en question survenant à la toute fin nimbe ce qui a précédé (les 5 h 30) d’un voile funèbre. Le home-movie modèle est en même temps un tableau de l’enfer. Le destin d’une famille aimante et heureuse peut être brisé en une seconde par une chute de roquette ou une balle perdue. Le cinéaste prend lui-même de tels risques. Pourtant il cadre avec une étonnante sûreté, pose un regard extérieur et curieux sur la réalité de l’Irak (souvent derrière les vitres d’une auto).
Un travail double donc, subjectif et objectif à la fois, accompli avec une économie de moyens liée au budget insignifiant de ce documentaire qu’on imagine autoproduit, mais tirant le maximum de plus value esthétique de son matériau brut. Elégance du filmage et fluidité du montage. Le grand film intimiste sur la guerre d’Irak.
Homeland – Irak année zéro d’Abbas Fahdel (Irak, 2014, 5 h 34
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