Trapero se prend (un peu trop) pour le Scorsese argentin en recréant la saga réelle d’une famille de kidnappeurs des eighties.
Depuis quelque temps, Pablo Trapero, qui fut au départ le chef de file d’un certain cinéma social argentin, semble tenté par des films de genre plus balisés – voire fabriqués. Quoique conservant une part de naturalisme, Leonera et Carancho étaient des thrillers. Elefante blanco, sur la vie de prêtres des bidonvilles, n’en était pas un mais avait déçu. Trapero revient avec El Clan, adaptation d’un étonnant fait divers ayant défrayé la chronique en Argentine dans les années 1980 : un système de kidnapping presque industriel mis en place par une famille bien rangée.
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Le père, Arquímedes Puccio, ancien membre des services secrets de la dictature, continuait simplement dans le civil et sur un mode crapuleux, sa routine de tortionnaire. Le cinéaste joue sur plusieurs tableaux simultanés : la vie de la famille Puccio, très banale (malgré les kidnappés hurlant dans la cave), les enlèvements proprement dits et les activités d’un des fils Puccio, joueur vedette d’une célèbre équipe de rugby, dont le père se servait pour donner le change et attirer des victimes fortunées. Un programme bien rempli, avec l’emploi systématique du montage parallèle.
El Clan vs Les Affranchis
De plus, pour ménager le suspense, et permettre aux spectateurs de découvrir “l’histoire dans un désordre angoissant”, Trapero a chamboulé la chronologie et jongle avec flash-backs et forwards. Un procédé de manipulation du public qui tranche avec les origines naturaliste du cinéaste, dont la maîtrise n’était pas aussi radicale à ses débuts. Un peu comme Pedro Almodóvar, dont la société El Deseo coproduit le film. A cela s’ajoute la plaie de la reconstitution rétro – ça se passe il y a trente ans – et du décorum afférent. Cerise sur le gâteau, une BO très travaillée, émaillée de standards rock/pop anglo-saxons.
En tête le Sunny Afternoon des Kinks, utilisé à deux reprises, avant et après la chute de la famille Puccio. Ironie du commentaire musical un peu lourde à l’image du film, dans l’ensemble un peu grossier. Voir le morceau de bravoure montrant en alternance les exploits sexuels du fils dans sa voiture et les meurtres du père. En plaçant vies familiale et criminelle sur un même plan, et en s’appuyant sur un tapis musical pop et dynamique, Trapero s’inspire manifestement du Scorsese des Affranchis. Cela fonctionne certes, mais sans faire oublier le modèle. Trapero a perdu une forme de candeur incertaine qui faisait le charme de son cinéma. Il pourrait bien être à son tour happé par Hollywood. C’est tout le mal qu’on ne lui souhaite pas.
El Clan de Pablo Trapero (Arg., 2015, 1 h 48)
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