Embedded dans la rédac du Boston Globe, un séduisant film-enquête qui ausculte aussi les mutations de l’Amérique du début du XXIe siècle.
Juin 2001, à Boston. Sous l’impulsion d’un nouveau rédacteur en chef, propulsé à la tête du journal pour sauver les ventes, une petite équipe d’enquêteurs du quotidien Boston Globe, réunie sous le nom de code “Spotlight”, décide de relancer un dossier brûlant : les agressions sexuelles sur enfants perpétrés au sein de l’Eglise.
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Malgré la pression des autorités religieuses et de leurs nombreux soutiens politiques, les journalistes s’engagent alors dans une longue et âpre investigation, au cours de laquelle ils mettront au jour un vaste réseau de pédophilie méthodiquement passé sous silence dans la région.
La publication de l’enquête vaudra au Boston Globe le plus beau scoop de son histoire, validé d’un prix Pulitzer en 2003, et provoquera une réforme à tous les niveaux de l’institution catholique, qui désormais adoptera une politique de tolérance zéro vis-à-vis de ses émissaires suspectés.
L’influence d’Alan J. Pakula
A partir d’un tel sujet, cocktail acide de pédophilie, de religion et de complot politique, on aurait pu redouter un film aux promesses bien putassières, délimitant ses enjeux à la traque anxiogène de criminels en soutane, façon whodunit chez les curés. Spotlight en est l’exacte antithèse.
Signé par Tom McCarthy, dont la carrière emprunte des trajectoires assez surprenantes – il fut acteur dans The Wire, producteur d’un épisode de Game of Thrones et scénariste du Pixar Là-haut –, ce prestige movie accueilli sous les dithyrambes de la presse US réactive un vieux marronnier hollywoodien : le film de procédure, ou film-enquête, dont l’emblème populaire reste Les Hommes du Président (1976).
Sous l’influence évidente d’Alan J. Pakula, Spotlight déroule ainsi l’habituel cahier des charges du genre : ses figures de journalistes entêtés et héroïques, campés par un casting lumineux où se distinguent Mark Ruffalo et Rachel McAdams, ses longs tunnels de dialogues en champ-contrechamp, sa narration en poupée russe, révélant les secrets de l’affaire à mesure que progresse l’enquête, et même ses décors jaunis de writing room enfumée.
L’élégance vintage de Spotlight
Entre le polar et le film-dossier hyper didactique, ce drôle d’objet anachronique surprend ainsi par son classicisme épuré, son souci de sobriété, qui tient à distance l’emphase, la pompe et tous les effets spectaculaires que charriait son sujet controversé. Ici, pas de psychologie ni de morale qui vaille : Tom McCarthy décline son enquête avec la sécheresse et l’efficacité clinique de ces journalistes-bulldozers, dont il dessine les portraits en quelques traits élusifs, à peine perceptibles.
L’élégance un peu vintage du film tient à ce choix singulier de la ligne claire, d’une frontalité qui prend à rebours les nouveaux usages du cinéma hollywoodien : contre la boursouflure et les grands airs de la génération des superauteurs, tels Paul Thomas Anderson ou son épigone Bennett Miller, Tom McCarthy prône un retour à la forme mineure des séries B old-school.
Naissance du monde virtuel
Mais il ne manque pas pour autant d’ambition. En suivant sa petite troupe d’enquêteurs au travail, le cinéaste raconte aussi le soudain crépuscule d’un monde et dresse un subtil portrait d’époque. Situé dans une temporalité assez peu représentée par le cinéma – le point de bascule entre le XXe et le XXIe siècle –, Spotlight saisit une société américaine frappée par deux révolutions concomitantes : l’avènement d’internet, qui bouleverse les méthodes d’information, et les attentats du 11 septembre 2001, qui font entrer les Etats-Unis dans une ère paranoïaque d’hypersurveillance.
En quelques scènes fulgurantes, disséminées à la marge de son récit, le film parvient ainsi à encapsuler une séquence historique décisive : celle de la naissance d’un monde virtuel paradoxal, tout à la fois outil de libération et d’asservissement. C’est peu dire que l’on ne s’attendait pas à trouver une telle acuité politique au cœur d’un film en apparence calibré pour la drague aux oscars.
Spotlight (E.-U., 2015, 2 h 08)
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