Tableau vivant mais terrible d’une fratrie rom abandonnée au cœur d’une banlieue roumaine.
Ca se passe en Roumanie, dans un de ces quartiers d’HLM comme il y en a tant en Europe de l’Est. Peut-être la banlieue de Bucarest… Dans un appartement dénué de tout vivent trois jeunes Roms, Totonel, 10 ans, et ses deux sœurs, Andreea, 14 ans, et Ana, 17 ans, qui sont livrés à eux-mêmes en l’absence de leur mère, incarcérée pour trafic d’héroïne.
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C’est un documentaire, certes, mais très scénarisé. Une œuvre sur une situation absolument réelle, mais dont le cinéaste a organisé le déroulement et l’agencement des événements selon une progression dramatique étudiée. Sur ce plan, Alexander Nanau s’inscrit dans le prolongement du cinéma de fiction roumain contemporain, qui joue souvent avec le vérisme, en employant un rythme et des décors très proches de la vie quotidienne.
Mais, d’une certaine façon, ce documentaire est aussi un peu l’inverse de ces fictions fondées sur la litote et le sous-entendu, où le but du jeu semble être d’en faire et d’en dire le moins possible (cf. L’Etage du dessous de Radu Muntean, sorti en novembre dernier).
Déréliction absolue
Toto et ses sœurs est au contraire très dynamique et dramatisé, sans temps morts, sans plages d’incertitude. Son enjeu est clair et net : décrire le tableau d’une déréliction absolue. Mais ce n’est pas pour autant un mélodrame.
Le petit garçon, Toto(nel), navigue entre la rue et l’appartement familial. Andreea s’absente souvent ; l’aînée, Ana, elle, est junkie, sans doute par contagion avec le milieu ambiant ; leur appartement sert de salle de shoot aux zonards du coin. Séquence saisissante où Toto joue innocemment dans son lit, à deux centimètres d’un toxico s’injectant une dose.
Malgré tout, le film n’est pas misérabiliste. Voir l’autre pôle de l’histoire : l’école/centre social et/ou orphelinat, où Toto étudie, et devient un as du hip-hop (le film s’attache à montrer ses progrès flagrants), et où Andreea se réfugie, loin de l’enfer de la drogue, dont elle a une conscience que n’a pas son aînée.
Enfance dévastée mais résiliente
Véritable âme du film, Andreea tourne elle-même une partie des images du film avec une autre caméra. Elle en vient quasiment, par moments, à se substituer au cinéaste, en se confessant ou en interviewant son frère comme une pro.
En définitive, un film terrible sur une vaste partie du monde délaissée, quoique culturellement proche de la nôtre, où les extrêmes sont criants, où la misère rappelle celle de l’Europe de l’Ouest au XIXe siècle. Ce portrait d’une enfance dévastée mais résiliente, comme on dit, est à la fois empathique et impitoyable ; c’est Los Olvidados au XXIe siècle.
Toto et ses sœurs (Rou., 2014, 1 h 34)
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