Tout droit venu du cinéma indé US, un portrait queer et emballant du Los Angeles interlope.
Tout à la fois acteurs, producteurs, scénaristes et réalisateurs, Jay et Mark Duplass n’en finissent plus d’étendre leur toile dans le cinéma indé américain. En attendant la deuxième saison de leur superbe série Togetherness, le lancement d’une nouvelle création animée pour HBO (Animals) et la sortie d’une collection d’essais sur la comédie US, les frangins hyperactifs décochent leur dernière production avec Tangerine, un bouillonnant film de poche qui a fait sensation à Sundance et pourrait bien s’inviter aux oscars.
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Cinquième long métrage du cinéaste Sean Baker, vaguement lié à la génération du mumblecore, cet étrange road-movie sans caisse, flirtant avec le docu-fiction halluciné, suit le trajet de deux prostituées transgenres lancées à toute blinde dans les rues de Los Angeles à la recherche de leur pimp.
Pendant vingt-quatre heures, la vieille du jour de Noël, le film accompagne sans discontinuer la course de ses héroïnes hors norme, circulant dans les zones interdites de la Cité des anges : hôtels de passe, tripots enfumés, ruelles peuplées de crackheads et fast-foods babyloniens, où se pressent tout ce que la ville compte de marginaux flamboyants.
Un formidable duo d’actrices transgenres
Un monde interlope, à la fois lumineux et cauchemardesque, que Sean Baker restitue avec acuité et empathie : loin des visions déclinistes des vieux romantiques du Nouvel Hollywood, tels Paul Schrader (The Canyons) ou Terrence Malick (Knight of Cups), Los Angeles est ici une entité vivante, électrique et jouisseuse. Bricolé avec trois iPhone et quelques milliers de dollars, ce portrait de ville relève aussi du coup d’éclat formaliste, exploitant à merveille les nouvelles potentialités des images numériques : sans aucune entrave, le réalisateur agite ses smartphones dans tous les sens, multiplie travellings et contre-plongées, filme les corps au plus près et capture le pouls des rues avec une fougue hyperréaliste qui évoque l’œuvre dingo de Mark Neveldine et Brian Taylor – notamment leur diptyque Crank, autre grand film sur Los Angeles.
Mais la principale attraction de Tangerine reste bien sûr son duo d’actrices transgenres, Kitana Kiki Rodriguez et Mya Taylor, sorte de croisement improbable entre les furies badass du cinéma de John Waters et les révoltées féministes de la série Orange Is the New Black. Sans expérience avant le tournage, ces deux amatrices vampirisent la minicaméra désirante de Sean Baker, qui exalte la beauté de leurs corps hybrides, la drôlerie de leur langue pop (“You don’t need to Chris Brown her, bitch !” : meilleure punchline de l’année) et l’esprit solidaire de leur peuplade queer. Elles sont les plus fortes et singulières héroïnes aperçues cette année dans le cinéma indépendant américain : deux trans qui règnent en majesté sur la Cité des anges.
Tangerine de Sean Baker ( E.-U., 2015, 2h33)
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