Héritier du cinéma-vérité des sixties, le réalisateur italien signe un film coup de poing sur l’Amérique pauvre et marginale.
Une caravane dans un Etat du sud des Etats-Unis. Un couple se chamaille au lit. Lisa a encore égaré la dope. Mark est dans la merde : comment va-t-il faire son fix ? Elle, déjà bien high, le corps languide mais balafré (à force d’aiguilles), sourit et l’embrasse : “I love you Mark.” The Other Side est une histoire d’amour et de crack. Mark, dealer maigrichon et philosophe, en vend à ses proches pour survivre. Une activité comme une autre quand on vit dans l’Etat le plus pauvre (60 % de la population au chômage) et oublié des Etats-Unis.
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Après sa trilogie consacrée au Texas (le portrait d’une famille mormone), le réalisateur italien Roberto Minervini est allé en Louisiane. Il y a tissé des liens forts avec les communautés locales, des gens démunis qui ont accepté de vivre sous l’œil de sa caméra. Dealers, toxicomanes, retraités sans le sou, vétérans de guerre peuplent les images de The Other Side, centrées, après le portrait de Mark, sur une association paramilitaire. Par cette construction, le film montre le cheminement logique, inéluctable, qui mène de la pauvreté aux deux cancers de l’Amérique : la drogue et les armes.
Si une telle démarche rappelle le cinéma- vérité des années 1960, son côté embedded, immergé dans la vie des gens, résonne tout autant avec les photos intimistes de Nan Goldin et Larry Clark. Mais s’il fallait citer un seul nom, ce serait Robert Flaherty, père du film documentaire américain et pionnier du docu-fiction. En 1948, il signait Louisiana Story, l’histoire d’un gamin voguant sur sa pirogue dans un coin sauvage de La Nouvelle Orléans – auquel The Other Side redonne vie dans une très belle scène de barque sur une rivière.
Minervini ne vise pourtant pas la stricte invisibilité. Son film résulte d’une mise en scène très travaillée qui tire sans cesse les images du côté de la fiction. On va jusqu’à douter parfois de leur authenticité, tant elles semblent écrites, jouées, chorégraphiées. Exemple : dans une scène où Mark et Lisa couchent ensemble, ce qui pourrait passer pour un sommet de voyeurisme (côté caméra) ou de dépravation vaguement exhibitionniste (côté sujet) produit en réalité une scène d’amour poignante et pleine de secrets.
Débarrassé de cette question éthique, reste un grand et beau film sur l’Amérique marginale, une chronique tendre et inquiétante de ses desperados de tout poil. Vieux féministes, rednecks anti-Obama, ados désœuvrés, tous accèdent chez Minervini, comme souvent chez Bruno Dumont, à la noble stature de héros de western.
The Other Side de Roberto Minervini (Fr., It., 2015, 1 h 32)
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