Ben Stiller et Naomi Watts, couple quadra tiraillé entre le désir et la jalousie pour deux jeunes hipsters. Une comédie féroce suintant l’anxiété.
Comment accorde-t-on la vie, sa vie, et le cinéma ? Peut-on manipuler, voire créer un événement en vue d’en faire un film ? Un zoom est-il affaire de morale ? Voici quelques questions, certes anciennes mais à jamais pertinentes, que pose While We’re Young, cinquième long métrage de Noah Baumbach.
Pour ce faire, l’auteur de Frances Ha suit les déboires professionnels et sentimentaux d’un cinéaste quadragénaire, interprété par Ben Stiller, qui travaille depuis dix ans au montage de son second documentaire-fleuve, sur l’œuvre d’un grand intellectuel de gauche, genre Noam Chomsky ou Eric Hobsbawm – et à travers lui, répète-t-il pompeusement, “c’est surtout un film sur l’Amérique” –, mais ne parvient pas à le terminer.
Le vampirisme vient de la jeunesse
Le marasme créatif, et bientôt financier, dans lequel il baigne se double d’un délitement progressif du couple qu’il forme avec Naomi Watts, fille d’un documentariste établi (joué par le fabuleux et trop rare Charles Grodin, héraut de la comédie d’auteur des années 70) et productrice de ce dernier. Entre Stiller (génie masochiste qui n’a pas son pareil pour supporter les petites humiliations) et son beau-père, une rivalité malsaine et castratrice s’est instaurée, qui vient aggraver l’absence de perspective de ce couple sans enfant.
Jusqu’au jour où un autre couple, plus jeune de vingt ans (Adam Driver, tout en majesté et en déhanchés, et Amanda Seyfried, un peu en deçà) vient s’immiscer dans leur vie et leur conférer le carburant qui leur faisait défaut : une sorte d’admiration réciproque, de l’insouciance contre un peu de sagesse, deal duquel tout le monde semble sortir vainqueur.
Mais si la cure de jouvence fonctionne un temps, une forme de jalousie se fait jour chez Stiller, à mesure que son cadet progresse dans la réalisation de son propre documentaire et réussit, avec des moyens parfois contestables, là où lui a échoué – y compris à émoustiller sa propre épouse, lors d’une amusante scène sous hallucinogène (l’ayahuasca). Traditionnellement, ce sont les vieux qui vampirisent les jeunes ; on pourrait même dire que c’est, depuis Dracula, consubstantiel au vampirisme.
Un finale surprenant, une morale assez trouble
Or ici, Noah Baumbach raconte l’histoire inverse. Son héros suit, ou plutôt se complaît dans une vision rigoriste de son métier, qu’il finit par transposer à sa propre vie. En d’autres termes : ses films sont chiants, sa vie est chiante, mais une sorte de gratification morale vient soulager sa double peine. Le personnage joué par Adam Driver, lui, ne se soucie guère d’éthique godardienne du documentaire : il emploie tous les moyens pour arriver à ses fins, dans les films comme dans la vie, deux choses qu’il mélange d’ailleurs allègrement à l’aide d’une petite caméra GoPro grâce à laquelle il capte tout, en permanence, sans se poser de questions.
On retrouve ici la même réflexion que dans le chef-d’œuvre de James L. Brooks, Broadcast News, où un journaliste tout ce qu’il y a de plus droit, interprété par Albert Brooks, se voyait gruger par l’opportuniste William Hurt, l’arnaque étant finalement révélée par un zoom malhonnête. Cependant, tout en citant le film de son aîné, Baumbach s’en détourne dans un finale surprenant et dégage sa propre morale, plus trouble qu’on aurait d’abord pu l’imaginer.
Noah Baumbach, cousin américain d’Arnaud Desplechin
S’il n’a pas la suprême élégance, ni la générosité d’un Brooks ou d’un Woody Allen (période Zelig), Baumbach se distingue par une grande attention aux détails (notamment ici aux signes du hipstérisme triomphant, épinglés avec une grande drôlerie), une acuité au présent et une forme de modestie aussi, qui le fait payer son tribut aussi bien aux anciens qu’aux plus jeunes que lui.
Il a précisément, en tant que cinéaste, la souplesse qui manque à son personnage principal, s’autorisant à puiser tantôt chez Bergman (dans Les Berkman se séparent ou Margot va au mariage), tantôt chez Truffaut ou encore dans le mumblecore (dans Frances Ha ou ici). Il s’affirme ainsi de plus en plus comme un cousin américain d’Arnaud Desplechin, qui aurait fait sien l’adage suivant : qu’importe le flacon (filmique), pourvu qu’on ait l’ivresse.