Depuis sa plus tendre enfance, Amy Winehouse a été filmée. Mais en passant de la sphère privée à la sphère publique, son rapport à l’image s’est transformé.
Jadis, Lou Reed avait intitulé un album Growing Up in Public. “Grandir en public”, c’est ce qui arrive aux célébrités, surtout à celles qui le deviennent précocement. Ce phénomène est aussi ancien que la médiatisation des “people” mais il s’est accentué avec le progrès technologique comme le prouve Amy.
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Le réalisateur Asif Kapadia n’a filmé que les témoins. Il n’a pas tourné un seul plan d’Amy Winehouse mais a recherché, collecté puis ordonné une profuse banque d’archives consacrées à la chanteuse prématurément disparue.
Les sources sont multiples : Kapadia utilise des images de provenance “classique” (concerts filmés, talk-shows, émissions musicales, séances en studio, extraits de sujets ou reportages de JT…) et d’autres qui n’auraient pas pu exister avant l’âge digital (séquences intimes, sans enjeu de diffusion, filmées à la dérobée, à la DV ou au smartphone).
Amy Winehouse a été filmée quasiment durant toute sa vie
Enfin, on voit des images qui appartiennent aux deux époques : celles qui étaient faites autrefois en super-8 (où l’on aperçoit Amy enfant) et aujourd’hui au Camescope, à l’appareil photo ou à la caméra numérique. Avec cette nuance importante : la labilité du digital rend ces family movies numériques beaucoup plus aisés à fabriquer et à faire circuler que les vieilles et fragiles bobines analogiques qui nécessitaient un appareillage complexe…
L’un des aspects les plus saisissants du film de Kapadia est donc de se rendre compte qu’Amy Winehouse a été filmée quasiment durant toute sa courte vie, dans des moments publics et privés.
On peut ainsi la découvrir dans les situations classiques de son métier (sur scène, en coulisses, en studio…) que dans des moments intimistes et habituellement non médiatisés (conversations avec ses copines ou son amoureux, vacances, voyage de noces…). Les fabricants de ces images intimes sont parfois extérieurs (équipes télé ou ciné) mais le plus souvent, il s’agit de la chanteuse elle-même ou de son très proche entourage.
Où s’arrêtera notre voyeurisme prédateur ?
La frontière public/privé a souvent été franchie par les médias “people” depuis des décennies mais Amy prouve que les technologies numériques tendent à faire disparaître complètement cette ligne de démarcation essentielle à l’équilibre mental des êtres.
On peut supposer que cette tendance va s’accentuer, et que bientôt fleurira ce nouveau genre : le docu biopic uniquement composé d’archives qui documenteront la vie du sujet de sa naissance à sa mort, sous toutes les coutures possibles de son existence. Ce qui est à la fois excitant et effrayant: où s’arrêtera notre voyeurisme prédateur ?
Car la profusion polysémique des images d’Amy Winehouse n’est pas seulement la forme du film, mais aussi son sujet. Entre autres choses, le film montre bien l’évolution de la chanteuse dans son rapport aux images : au début désirant, à la fin terrorisé.
“Growing up and dying in public”
Amy Winehouse est passée de l’image miroir flattant son narcissisme ordinaire de girl next door à l’image prédatrice omniprésente menaçant sa santé mentale et sa vie.
Ce qui a tué Amy est un cocktail très complexe de fragilités personnelles, de mauvaises rencontres, d’abus de drogues et de pressions liées au succès : les images, sorte de cinéma permanent doublant la vie, ont sans doute fait partie de ce mélange détonant. “Growing up and dying in public”…
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