Le compositeur islandais aura passé son été à enregistrer une chanson par semaine dans sept lieux de son île. Une performance diffusée sur les réseaux sociaux. On l’a croisé lors de la dernière étape de son périple.
L’été à Reykjavík est une arnaque. Si les rayons d’un soleil anémié réchauffent les maisons en taule de la capitale islandaise, le fond de l’air, lui, reste frais comme une ice-cream. Qu’importe, ce n’est pas pour la marque du maillot qu’on a traversé deux mers et un bout d’océan, mais pour se pencher au plus près sur le cas d’Olafur Arnalds. Stakhanoviste forcené, le musicien a composé, depuis Eulogy for Evolution, son premier effort sorti en 2007, plus d’une dizaine d’albums, en solo ou (fort bien) accompagné, brouillant les pistes entre musique de chambre contemplative et techno minimale au sein du duo Kiasmos, qu’il forme avec son compatriote Janus Rasmussen.
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Une chanson par semaine dans sept lieux différents
Depuis le début de l’été, ce multi-instrumentiste islandais s’est mis en tête d’enregistrer, mettre en image et diffuser sur le net une chanson par semaine dans sept lieux différents de l’île nordique. Pour le musicien de 29 ans, ce projet, sobrement intitulé Island Songs, est autant une ode à ses terres natales qu’une occasion de mettre en lumière d’autres artistes, connus (comme la chanteuse Nanna Bryndís Hilmarsdóttir du groupe Of Monsters And Men) ou anonymes, d’une île qu’on réduit artistiquement trop souvent à Björk ou Sigur Rós :
“Mon idée n’est pas de promouvoir le pays. On a un office du tourisme pour ça (rires). Mais je voulais briser les préjugés que les gens peuvent avoir sur la musique ici et montrer comment elle se joue vraiment.”
« Pendant un temps, j’ai cru que je ne pourrais plus jouer de piano. »
Pour la dernière étape de son voyage musical, Arnalds a donc réuni famille et amis au théâtre Iðnó à Reykjavík. Sous la caméra du réalisateur islandais Baldvin Z, le compositeur et ses musiciens vont y mettre en boîte le clip de Doria, une composition solaire, entre Chopin et Ryuichi Sakamoto, qui nécessite un appareillage étrange : en sus du quintet à cordes qui l’accompagne, Arnalds utilise un clavier relié à deux pianos automatiques qui démultiplient les notes qu’ils jouent en arpèges impossibles. Un subterfuge venu pallier un accident survenu l’année dernière :
“Je me suis blessé à la main. Pendant un temps, j’ai cru que je ne pourrais plus jouer de piano. Je n’ai d’ailleurs toujours pas récupéré toute la motricité de mes doigts. Alors je me suis dit : ‘Peut-être que le piano peut jouer certaines notes à ma place ?’ J’en ai parlé à un ami programmeur informatique et on a créé différents algorithmes capables de générer des arpèges à l’aide de capteurs. C’est comme une intelligence artificielle.”
Comme le ciel islandais, la musique d’Olafur hésite entre la nuit et la lumière, entre la pluie et l’éclaircie. Une pop instrumentale et minimaliste faite de mélodies changeantes, de claviers crève-cœur et de cordes à pleurer. Parmi les morceaux les plus saisissants de ces “chansons d’Islande”, le titre 1995, enregistré dans la petite église de Flateyri et qui évoque le drame inouï qui a frappé ce village cette année-là :
“En 1995, une avalanche a déferlé sur le village et a tué vingt personnes de ce village de deux cents habitants. Pour une aussi petite communauté, c’est énorme. Tout le monde a perdu une personne qu’il connaissait. Un frère, un ami. Aujourd’hui, c’est presque une ville fantôme. La moitié des maisons sont vides et il y a beaucoup de dépression.”
Le compositeur a invité sa cousine, organiste de la paroisse, à jouer sur ce morceau.
“Elle a un rôle primordial là-bas. Elle est ‘la musicienne’. Elle dirige la chorale, enseigne le piano à l’école, joue de l’orgue à l’église pour les funérailles, les mariages… Je trouve ça tellement beau. La chanson ne parle pas de l’avalanche. C’est plutôt un hommage aux victimes et plus encore aux survivants présents chaque dimanche dans cette petite église.”
Désormais, la notoriété du musicien dépasse largement les rivages heurtés de l’Islande. En 2014, son travail sur la musique de la série britannique Broadchurch lui a valu un Bafta (récompense de l’Académie britannique des arts du film et de la télévision) :
“Broadchurch est mon expérience cinématographique la plus épanouissante. Ma liberté artistique est totale. On va entamer la troisième saison et je voudrais que la musique soit moins présente. Mon erreur dans la deuxième saison a peut-être été d’en faire trop. Je veux plus de silence. C’est la chose la plus puissante qu’on puisse utiliser dans une musique de film ou de série.”
« Si j’ai pu contribuer à abattre quelques barrières musicales, j’en suis ravi.”
Hollywood aussi s’intéresse à la musique d’Arnalds, lui rapinant quelques compositions pour des blockbusters comme Hunger Games ou Taken 3 : “Je ne surprotège pas mon travail. Ça n’est que de la musique. Je ne la vendrais pas à McDonald’s, mais si elle trouve sa place dans un film où des gamins s’entretuent, ça me va. (rires)”
S’il avoue une fraternité forte avec le compositeur allemand Nils Frahm (avec qui il a d’ailleurs déjà enregistré), l’Islandais a conscience d’être en marge d’un univers classique qui n’a pas toujours été tout sucre avec lui : “Quand j’ai commencé, la plupart des orchestres ne voulaient pas jouer avec moi. Maintenant, ils se bousculent. Si j’ai pu contribuer à abattre quelques barrières musicales, j’en suis ravi.” Puisqu’on vous répète que les frontières sont faites pour être franchies.
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