A travers les récits croisés de six lycéens en conflit avec leurs parents, la série « Clash » tire vers une maturité inédite le feuilleton télé pour ados.
L’adolescence n’est pas seulement “une période importante de la vie”, c’est “la seule période où l’on puisse parler de vie au plein sens du terme”, écrivait Michel Houellebecq dans Extension du domaine de la lutte. C’est au nom de cette extension du domaine de la vie, intense, intransigeante et fragile, qu’a pu se déployer le genre prisé du teen movie dont la télévision prolonge les codes dans des séries populaires, de Dawson à Angela, 15 ans, de La Vie secrète d’une ado ordinaire à Skins, la plus intense de ces dernières années.
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En France, le genre a longtemps eu du mal à s’imposer autrement qu’à travers des séries un peu niaises, même si quelques essais audacieux (Ma terminale, Le Lycée, Age sensible, Sweet Dream…) ont rappelé ces dix dernières années que les règles du genre – premiers émois amoureux, conflits avec les parents, camaraderies lycéennes… – pouvaient s’exporter et se réinventer en déplaçant ses marqueurs tout en conservant ses rituels fondateurs. De la même manière que les teen movies à la française ont su depuis Diabolo menthe ou La Boum revisiter le genre – de La Belle Personne aux Beaux Gosses, de Simon Werner a disparu… à 17 filles –, ces séries pour ados préfigurent la revigorante série de France 2, Clash, créée et écrite par Pierre Linhart et Baya Kasmi (qui participa déjà à l’écriture d’Age sensible ou de la première saison de Fais pas ci, fais pas ça).
Une maturité inédite
Réalisée par Pascal Lahmani, Clash tire enfin le modèle de la série pour ados vers une maturité inédite en France, proche de l’âge adulte dont la jeunesse a besoin pour éviter les fausses notes dans l’art de la représenter. Loin des clichés appuyés ou des approximations désinvoltes dont souffrent souvent les feuilletons pour ados, il se dégage de Clash une constante impression de justesse qui tient avant tout à l’ambition chorale de son récit.
Plutôt que de se fixer sur deux ou trois motifs réducteurs, la série explore un grand nombre de traits caractéristiques de la vie des ados d’aujourd’hui, à travers les affres de six personnages, sur lesquels se concentrent successivement chaque épisode. A chaque personnage, correspond un enjeu scénaristique propre, lié à la singularité psychologique et physique d’une personnalité, d’un cadre de vie domestique, de relations affectives contrariées… De telle sorte que le monde de l’adolescence se dévoile ici à partir d’un principe de multitude, lui-même traversé par quelques traits communs, dont celui, prédominant, de la dispute, coeur vital d’une série habitée par les signes qui annoncent le fracas et le désordre.
Le “clash” en question concerne chacun de ces six héros qui, au sein d’un espace clos (le lycée avec ses classes, ses escaliers, sa cour), partagent les mêmes désirs, mais s’opposent dans la manière de les réaliser ou de se fracasser sur leur mur. Leurs états borderline, nés de leurs conflits internes – chagrins, amours déçues ou refoulées, relations sexuelles difficiles… – autant que des conflits avec leurs parents – manque de reconnaissance, pression permanente… –, n’occultent pas la part de fantaisie qui traverse aussi leurs vies. Intelligemment, les auteurs prennent soin d’entremêler sans cesse les plaisirs et les pleurs, les joies et les heurts, les élans et les peurs, qui complexifient les personnages.
Ancrée sur deux territoires privilégiés, l’appartement familial et le lycée, la série parvient avec une vraie maîtrise du récit à suggérer l’espace imaginaire de ses protagonistes, tous attachants dans la mise à nu qu’en font les auteurs. Qu’il soit neurasthénique et trop couvé par sa mère (Robin), trop surveillé par un père soucieux de virilité (Cassius), trop rêveur et sensible (Dylan), en fusion avec maman (Olivia), complexée (Emilie)…, chacun des personnages laisse entrevoir des traits secrets qui viennent brouiller le profilage attendu, piège auquel s’exposait chaque épisode, et qu’il contourne aisément. La série joue surtout sur l’effet de circulation entre tous ses épisodes, qui se font écho, se croisent, comme si leur destin commun s’incarnait dans la réunification des parties dispersées de leurs mouvements.
La dilatation de la série, qui tient à son principe de construction, permet d’effleurer les mystères d’une bande d’amis qui, à l’image de sa génération, oscille entre sentiments opposés, cherche une voie au coeur des conflits qui l’assaillent. Les parents semblent encore plus fébriles : ce sont eux, par leurs maladresses, inattentions ou intentions trop marquées, qui conditionnent le clash, étouffent les ados, même s’ils les protègent aussi. Subtilement, les auteurs n’en font pas des caricatures de parents maboules et leur confèrent une part de douceur par-delà leurs imperfections.
Désorganisation affective
Aux côtés des jeunes acteurs, tous formidables – Camille Claris, Thomas Solivérès, Thomas Silberstein, Arthur Jacquin, Simon Koukissa, Alysse Hallali –, la fonction périphérique des parents (Laure Marsac, Catherine Mouchet, Serge Riaboukine, Cristiana Reali…) se révèle centrale dans la désorganisation affective des ados, à bout à défaut d’être au bout de leurs désirs. De cette tension générationnelle, Clash tend un fil intense, où résonnent beaucoup de notes justes. Comme celles de la chanson aux airs déchirants, Walker de Cascadeur, qui vibre dans chaque épisode, tel un leitmotiv, lorsque le clash révèle la fureur de (mal) vivre. Sur ces poussières de leurs vies à la fois désolées et promises à de nouveaux horizons, les héros de Clash sont, comme tous les cascadeurs, tenus de se relever après la chute.
Jean-Marie Durand
Clash (6 x 52 min), série réalisée par Pascal Lahmani. Sur France 2, le mercredi à partir du 9 mai à 20h40
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