Lion d’or au dernier festival de Venise, la nouvelle miniature hideuse de l’auteur de « Chansons du deuxième étage ».
Contrairement à la citation faussement attribuée à Bazin par Godard au début du Mépris, le cinéma ne substitue pas “à nos regards un monde
qui s’accorde à nos désirs”. N’importe quoi. Il substitue à notre regard un monde qui s’accorde aux désirs d’un autre (le cinéaste). Bien sûr. On peut souvent le regretter, surtout quand ce regard prétend être fort et “sans concession”. Alors, que se passe-t-il quand un cinéaste tel que Roy Andersson veut nous imposer avec la légèreté d’une armée russe en campagne une vision du monde très personnelle, une idéologie extrêmement éloignée de nos désirs ? C’est la question Roy Andersson.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Que voit-on ? Un gloubi-boulga de saynètes tournées en plan fixe. On y décèle un mélange assez mal digéré de Kafka, Tati, Kaurismäki, du dessinateur humoristique Voutch, de Beckett, Plonk et Replonk, Edward Hopper, Magritte, de procédés visuels venus de la pub que notre Suédois doit prendre comme l’aboutissement du surréalisme au cinéma. Roy Andersson n’écrit pas de scénario. Il conçoit chacun de ses petits sketches morbides et sinistres comme des tableaux, des vignettes, des cartoons sinistres. Ce que la lumière, les filtres, le maquillage toujours blafard de ses acteurs, le traitement fortement numérisé des couleurs ne fait que confirmer. On se croirait un peu dans l’atelier de Vélasquez au milieu
des Ménines mais retouchées sur Photoshop pour que ça claque.
Pourquoi pas. Le problème, c’est que c’est non seulement laid moralement
(les humains de Roy sont tous affreux, dépressifs et pitoyables), mais aussi physiquement. Le monde n’est qu’une zone industrielle abandonnée. La mort nous attend (comme si on ne le savait pas).
Parfois, Roy Andersson conçoitune machine horrible. Ici, des soldats du XIXe siècle enferment des esclaves noirs dans un vaste cylindre en métal qu’ils font chauffer. En courant à cause de la chaleur qui brûle leurs pieds, les esclaves font tourner la cuve qui, munie d’instruments à vent, émet une étrange mélodie. On comprend bien le message, mais était-il nécessaire de déployer de tels procédés, vulgaires et outranciers, complaisamment provocateurs, pour en arriver là ?
Le cinéma de Roy Andersson est par définition un cinéma sans durée (prolongé sur des journées entières ou réduit à cinq minutes). C’est un cinéma sans âme, où les personnages ne sont que des marionnettes agitées par un misanthrope psychorigide.
{"type":"Banniere-Basse"}