Au cours d’une journée placée sous le double sceau de la sobriété et de la simplicité, François Hollande a tenu à se démarquer de son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Seul hic à cette journée : la pluie, la grêle et enfin la foudre.
Dès 7h00, des militants de l’UMP qui avaient tous reçu un SMS demandant de réserver un dernier accueil chaleureux « à [leur] président » se massent devant les portes de l’Elysée. Drapeau tricolore gardé des meetings et ressorti pour l’occasion sur lequel on peut lire « Merci Nicolas », affiches de la France forte plaquées contre les barrières de sécurité, ils sont prêts et entonnent : « Rendez-nous Sarkozy ! » ou « Avant cinq ans, c’est la guerre ! »
Vers 9h00, le gros des journalistes accrédités pour la passation de pouvoir et les invités arrivent. Certains se font copieusement huer : Pierre Moscovici, Pierre Mauroy ou Laurent Fabius, qui se fait accueillir au son de « Fabius pourriture ». Voyant le climat dégénérer, un conseiller de l’Elysée tente de calmer le jeu. Peine perdue. Les militants reçoivent un SMS – « Calmez-vus, ça donne une mauvaise image de nous » – qui fait redescendre le ton général.
A l’intérieur de la Cour, alors que les journalistes, photographes et cameramen sont pour beaucoup postés sur les toits, les équipes de Nicolas Sarkozy et de François Hollande se croisent. Franck Louvrier dit qu’il n’a aucune tristesse. Henri Guaino accorde une dernière interview dans la Cour tandis que Stéphane Le Foll, suivi de Faouzi Lamdaoui, progressent sur le tapis rouge, les yeux écarquillés:
« Ça m’a fait drôle, raconte Le Foll aux Inrocks, depuis le temps que je vois les images de la cour de l’Elysée. Là, j’ai marché sur le tapis rouge ! »
A l’intérieur, les invités, installés de part et d’autres de la Salle des fêtes attendent l’arrivée de Hollande bercés par l’orchestre de la Garde républicaine qui interpète Purcell, Lully, Mozart, Vivaldi. Pierre Moscovici a la mine réjouie. Signe d’une nomination? François Chérèque, de la CFDT, est en grande conversation avec Laurence Parisot, du Medef. Mazarine Pingeot confie: « Je n’étais pas à la passation de pouvoirs avec mon père, je me rattrape », tandis que Jean-Pierre Jouyet, qui a maladroitement assuré ce mardi matin que Jean-Mac Ayrault serait le nouveau Premier ministre, passe la plupart de son temps à se confondre en excuses.
Première nouveauté dans cette cérémonie sobre : Carla Bruni accueille Valérie Trierweiler. C’est la passation entre les premières dames. L’entretien entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, quant à lui, est court. La poignée de main à la sortie est fraîche. Carla Bruni, saluant le nouveau président, lui déclare sur le perron de l’Elysée :
« Au revoir, M. le président. Bon courage. Mes hommages. »
L’ex-couple présidentiel n’est pas raccompagné à sa voiture. Il s’en va à pied jusqu’à son véhicule. La page se tourne. Pourtant certains ont du mal à suivre… « Il est où Sarko… euh Hollande », s’emmêle un journaliste.
|break|
10H40. François Hollande est officiellement investi septième président de la Ve République, sa compagne Valérie Trierweiler semble émue. Le président du Conseil constitutionnel consacre ce moment solennel par ces mots : « Vous incarnez la France, vous symbolisez la République. » A son tour, le nouveau président prend la parole. Pas de fioritures. Pas d’excès. Un discours très politique, mais bien plus long que ses prédécesseurs. Onze minutes pour marquer ses différences avec Nicolas Sarkozy et sa pratique du pouvoir :
« Je fixerai les priorités, mais ne déciderai pas de tout pour tout et partout. (…) Le Parlement sera respecté dans ses droits, la Justice disposera de toutes les garanties de son indépendance, le pouvoir au sommet de l’Etat sera exercé avec dignité mais simplicité. »
Rendant hommage à l’action de chacun de ses prédécesseurs, Hollande se contente de souhaiter à Nicolas Sarkozy des « vœux pour la nouvelle vie qui s’ouvre devant lui ». Fermez le ban.
Le moment tant attendu par les invités est arrivé : François Hollande serre la main à chacun. On guette auprès de qui il s’attarde, comme Jean-Marc Ayrault, pas encore nommé officiellement à Matignon à ce moment-là. En face, Martine Aubry a la mine agacée et la moue boudeuse. Hollande s’attarde aussi longuement auprès de Bertrand Delanoë, mais passe rapidement auprès de Stéphane Le Foll, son fidèle dont on dit qu’il ne devrait pas entrer au gouvernement. Les deux hommes se sont parlé plus longuement ensuite au cocktail qui suivait, le président assurant l’historique de « son amitié ».
Certains, pourtant, connaissent déjà leur nomination, comme Aquilino Morelle, la plume de Hollande pendant la campagne et désormais « conseiller politique » du Président. En somme la place d’Henri Guaino. Il rectifie en plaisantant:
« Guaino était conseiller spécial. Il n’y a pas de conseiller spécial pour un président normal. »
Après une rapide revue de la Garde républicaine sous la pluie, François Hollande a remonté les Champs-Elysée dans sa voiture de fonction DS5 hybride. On dirait un format pocket. Décapotable, elle lui permet de se hisser, une barre pour se tenir et faire coucou de la main à des Champs plutôt déserts. La faute au temps ? Car la pluie s’abat sur lui. Littéralement trempé, les lunettes couvertes de gouttes d’eau, le Président ne bronche pas. Il s’incline, stoïque, devant la tombe du soldat inconnu à l’Arc de Triomphe. Et s’adonne à son premier bain de foule de la journée.
De retour à l’Elysée, il en profite pour aller saluer quelques journalistes. Et quand on lui demande s’il craint la pluie en ce jour de passation des pouvoirs, il répond : « Je ne crains rien. »
Après un changement de costard, un déjeuner avec les ex-premiers ministres socialistes où François Hollande n’a pas dû mourir de faim -pressé de langoustines aux agrumes, côte de boeuf grillée vigneronne servie avec carottes nouvelles au jus, suivis de fromages et de macarons à la fraise avec des glaces au mascarpone – il doit partir aux Tuileries pour rendre hommage à Jules Ferry. Une idée de Manuel Valls et Aquilino Morelle qui, en cherchant sur Google où se trouvait une statue de Jules Ferry, n’ont vu qu’il n’y en avait qu’une… dans ce jardin !
Aux Tuileries, sous une grande tente transparente, des enseignants, représentants de parents, des syndicats, des élèves sont présents. Tous les anciens ministres de l’Education socialistes sont là : Jack Lang, Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement. Il n’en manque qu’un: Claude Allègre, qui a apporté son soutien à Nicolas Sarkozy pendant la campagne. Ils entourent Vincent Peillon, pressenti comme futur ministre de l’Education nationale. Lui balaie d’un revers de la main en souriant:
« L’engagement de Hollande pour l’école est total. C’est la priorité. Le reste est secondaire. »
Surtout ne pas insulter l’avenir. Dans son discours à nouveau très politique et très applaudi, François Hollande envoie un « message de confiance à l’Education nationale », répondant indirectement à Nicolas Sarkozy qui, en décembre 2007, lors de son discours de Latran, avait expliqué que « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé ».
Réponse de François Hollande:
« Une chose est pérenne, une chose est éternelle: si le savoir n’est pas le monopole du maître, celui-ci doit garder la responsabilité d’en ordonner le sens. »
Répondant aux attaques de Luc Ferry qui disait lundi ne pas comprendre qu’on puisse rendre hommage au colonisateur Jules Ferry, Hollande a qualifié cet aspect de « faute morale et politique » et affirmé ne rien « ignorer de ses égarements politiques ». Commentaires dans l’assistance: « Ah ça fait du bien », « qu’est-ce que ça change »…
Jack Lang, déçu de voir que les journalistes cherchaient plutôt à parler à Vincent Peillon, était finalement content de voir que, sur le trottoir devant les Tuileries, des badauds lui demandaient des autographes.
A 14h40, François Hollande arrive à l’Institut Curie. Il est largement applaudi à son arrivée. Mais décidément, il n’a pas de chance. Un vent froid s’est levé et de la grêle tombe. Pour Vincent Peillon :
« Investiture pluvieuse, quinquennat heureux »
15h20, avec un retard sur le programme de la journée, François Hollande arrive à l’Hôtel de Ville. Et rebelote, nouveau petit bain de foule. L’entretien entre le maire et le nouveau président dure… Un signe ? « Il n’y a pas de sujet », esquive Bertrand Delanoë. Tout le monde esquive la question de peur de voir échapper son maroquin. On n’a jamais vu les socialistes aussi tendus ! D’autant plus que les premières nominations tombent.
Vers 15h50, l’info se répand de téléphones en téléphones : le préfet Pierre-René Lemas est nommé secrétaire général de l’Elysée. C’est à lui qu’il reviendra d’annoncer le nom du Premier ministre. Bertrand Delanoë et François Hollande se prennent dans les bras. Moment de complicité.
Dans son discours de près d’une demi-heure, François Hollande s’engage à « créer les conditions nécessaires à l’émergence d’une métropole parisienne, capable d’affronter à l’échelle pertinente tous les défis qui se présentent à elle ». Et d’ajouter :
« Nous nous appuierons sur les structures qui existent: Paris-Métropole. »
Une façon de tuer dans l’oeuf le projet du Grand Paris de Nicolas Sarkozy. Jusqu’au bout, tout en sobriété dans cette journée où François Hollande a voulu rester lui-même, il s’est opposé point par point à Nicolas Sarkozy.
Le voilà qui file pour Berlin. Tout est bien qui fini bien? Non ! L’avion transportant le Président, qui volait pour l’Allemagne où Angela Merkel l’attendait pour un dîner de travail, est contraint de faire demi-tour, touché par la foudre. Passation pluvieuse, passation…