Dans la grande série The Wire, il était l’inoubliable détective McNulty. Rencontre avec Dominic West, héros malgré lui.
Dominic West fait partie de ces acteurs dont le nom ne suffit pas tout à fait à les identifier. Privilège (ou fardeau) des grands comédiens de séries, un autre patronyme lui colle à la peau depuis 2002 : Jimmy McNulty. Le détective barré, alcoolique et bouleversant de The Wire, c’était lui. Un type acharné à ne pas marcher droit ; un personnage inoubliable, au charme hypersexué et aux manières de rustre.
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“Tu mets le feu à tout ce que tu touches et puis tu te barres quand ça crame”, lui balançait un collègue dans la saison 3 de ce qui fut l’une des plus grandes séries de tous les temps. Les non-initiés ont encore la vie devant eux pour découvrir l’ampleur narrative stupéfiante et la force politique de The Wire – Sur écoute en VF – qui a scruté d’un oeil panoramique la vie des pauvres made in XXIe siècle, à Baltimore, de 2002 à 2008.
Dès le premier épisode, Jimmy McNulty incarnait presque à lui seul l’écrasement de la loi et la mélancolie du rêve américain. Devant le cadavre d’un gosse abattu dans la rue pour quelques grammes de drogue, il prenait en pleine tête l’indifférence d’un kid du ghetto, miroir de sa propre impuissance. Cinq saisons plus tard, à l’heure du dernier épisode, l’honneur revenait logiquement à McNulty de boucler la boucle. Les yeux encore tristes, il balançait l’ultime réplique de la série, une rengaine éternelle de l’imaginaire US classique, de Mark Twain à John Ford, parfaite comme un soleil déclinant sur Monument Valley : “Let’s go home” (“Rentrons à la maison”).
Dix ans après le début des aventures de McNulty sur HBO (le 2 juin 2002), Dominic West semble toujours étonné de ce qui lui est tombé dessus. Il a un peu plus de 40 ans et n’en revient pas qu’on puisse l’aimer. Il s’étonne aussi que la série soit à ce point portée aux nues et étudiée à travers le monde. A retardement.
“Souvenez-vous quand même que personne ou presque ne regardait The Wire, à part les gens des quartiers et quelques avocats qui prenaient des notes… La chaîne essayait de l’annuler après chaque saison !”
Pénétrant dans la chambre d’un palace du VIIIe arrondissement parisien, le beau gosse, invité du récent festival Séries Mania où il donnait une master class, prévient illico : “McNulty a toujours été le contraire de moi. Entre nous, il y avait un abîme. Je suis un acteur de la classe moyenne, c’est un flic issu de la classe ouvrière. Lui connaît la rue ; moi, pas du tout. Et puis il y a le problème de mon accent. Quand les gens découvrent mes origines, ils sont terriblement déçus !”
Comme beaucoup d’acteurs anglais avant lui, Dominic West a joué les Yankees sans effort apparent. Mais il a raison : c’est un choc de l’entendre s’exprimer comme les petits gars du Nord de l’Angleterre, ce terreau de pop music réjouissante et d’averses méchantes dont il est originaire. S’il a passé du temps à Dublin – il sort de la prestigieuse université d’Eton – et vit désormais à Londres, son home à lui s’appelle Sheffield. Pulp, le groupe sublime de Jarvis Cocker, y est né au début des années 80. A part ça, rien, si ce n’est une dureté typique du coin, touché par une crise continue depuis les années Thatcher.
Tourner The Wire à Baltimore n’avait pas de quoi dépayser l’animal. “Sheffield, par certains aspects, ressemble à Baltimore. C’est une cité postindustrielle qui a longtemps abrité des usines de sidérurgie et de produits manufacturés. D’un seul coup, ces industries se sont écroulées. Juste après m’avoir choisi, David Simon, le créateur de la série, m’a emmené à Baltimore voir les coins gangrenés par le trafic de drogue, les maisons délabrées squattées par des junkies, les ‘corners’, les quelques barres d’immeubles encore debout. Il m’a expliqué qu’il trouvait cela triste et déprimant. Vu le soleil magnifique qui brillait, je lui ai répondu qu’il n’avait qu’à venir faire un tour à Sheffield : là-bas, en plus, il pleut tout le temps !”
Rencontrer Dominic West, si calme et posé derrière un visage constamment tendu par sa grande expressivité, c’est repenser à des moments célèbres de The Wire. Comme ce quatrième épisode de la saison 1 où McNulty et un autre policier grognon découvrent une scène de crime et ne prononcent rien d’autre que “fuck” pendant plusieurs minutes. Pour de nombreux spectateurs, ce moment a fait basculer la série dans la grandeur mythologique. West en garde une vision plus personnelle.
http://www.youtube.com/watch?v=VWJTaBJYnMg
“La scène a été pensée de manière conceptuelle dès le début mais quelques ‘fuck’ ont été ajoutés en postproduction. Je trouvais que ça faisait un peu trop mais je n’étais pas du genre à me plaindre. D’ailleurs, je n’avais pas de raison de le faire : les scénarios étaient les meilleurs que j’aie lus de toute ma carrière. Rien n’était improvisé, malgré une impression de réalisme très forte. Les mots sonnaient juste, ceux des flics comme ceux des voyous. C’était pourtant écrit par un Juif blanc et chauve ! Le seul qui a osé remettre en question une décision de David Simon est un autre acteur anglais, Idris Elba, qui interprétait Russell “Stringer” Bell. (Attention spoiler) C’était à propos de la séquence où il se fait descendre à la fin de la saison 3. Dans le scénario original, le personnage d’Omar venait uriner sur lui. Il a vraiment lutté et ils ont accepté de modifier la scène. On s’est tous demandé comment il avait réussi !”
L’évocation du massif Idris Elba, qui cartonne en ce moment dans le feuilleton policier Luther (sur Canal+ chaque lundi), permet d’interroger Dominic West sur le crédit infini dont jouissent les acteurs british à Hollywood, notamment dans les séries. Une vague puissante et constante depuis une décennie.
“Il y a eu Idris Elba et moi-même dans The Wire, puis Hugh Laurie dans Dr House et enfin Damian Lewis dans Homeland. J’en oublie. Je crois que c’est parce que nous sommes moins chers ! Je rigole mais c’est un peu vrai. Les acteurs américains à succès sont associés au cinéma et ils y restent tandis que les acteurs anglais qui réussissent rêvent de percer à la télé américaine ! Il y a une différence, non ? Notre formation théâtrale est peut-être aussi importante : nos bases techniques sont solides même si la tradition se perd. Moi, je viens du théâtre, j’adore ça. Mais beaucoup de jeunes comédiens britanniques qui sortent de l’école n’ont aucune envie de jouer du Shakespeare…”
Pour satisfaire ses envies de déclamations, Dominic West enchaîne les blockbusters costumés plus ou moins passionnants. Dans le péplum furieux 300 (2006) de Zack Snyder, il prenait les traits d’un politicien/ guerrier chevelu pas très porté sur le consentement de ses partenaires sexuelles. Toujours au cinéma, on l’a remarqué dans Centurion et John Carter ou encore, ce qui n’a rien à voir, dans le mémorable Spice World, à ses débuts en 1997.
Interrogé sur ses relations aux Spice Girls, ce garçon par ailleurs aimable sort ses griffes : “Elles étaient terrifiantes.” C’est donc à la télévision qu’il s’épanouit vraiment. En Angleterre, il est devenu une star grâce au très estimable mélo historique The Hour, diffusé depuis l’année dernière. Dans une ambiance vintage post-Mad Men, West se glisse dans la peau du présentateur faussement lisse d’une émission d’actu des années 50.
“Nous venons de tourner la deuxième saison qui sera diffusée à la rentrée en Angleterre. Je viens aussi de jouer un serial-killer vraiment terrifiant. J’en ai fait quelques cauchemars mais tout va bien. Je profite à fond de la forme étincelante de notre télévision.”
Rien pourtant ne rivalise avec la puissance de Jimmy McNulty, ce rôle divin qu’on ne croise qu’une fois dans sa vie. “David Simon est très sceptique sur la nature humaine, il pense que personne ne peut changer le monde car il est déjà difficile de se changer soi-même. Donc, il a fait de McNulty le contraire du héros américain typique : un type qui essaie régulièrement de se raccrocher aux branches mais n’y parvient pas. Son parcours chaotique m’a toujours semblé assez juste, en phase avec les cycles de la vie qu’une bonne série est capable d’épouser. Pourtant, dix ans après, je vais vous avouer une chose : je n’ai jamais compris qui était McNulty, même avec le recul. Ça doit être bon signe.”
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