La suite d’une réhabilitation nécessaire et bienvenue de Bo Widerberg, cinéaste suédois en phase avec la société et la politique des années 1960-80. Un grand réaliste conjuguant brillamment lyrisme, sensualité et ludisme.
Deuxième volet de la rétrospective Bo Widerberg entamée l’an dernier. Après les riches et variés Péché suédois, Elvira Madigan et Adalen 31, on poursuit la (re)découverte du cinéaste suédois honteusement éclipsé par Ingmar Bergman, arbre monumental qui cachait la forêt scandinave.
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Si celui-ci n’était pas étranger à la sensualité et à l’hédonisme (cf. son inoubliable Monika), Bo Widerberg est encore plus libre dans ses différentes approches et la variété de ses sujets, historiques ou contemporains, souvent en prise directe avec la société de son temps. Parfois il est tellement en phase avec son époque qu’il semble vouloir à tout prix rivaliser avec ses pairs.
Compagnon de route suédois de la Nouvelle Vague française (qui, elle, adulait Monika de Bergman), il cite clairement Godard (et Antonioni) dans Amour 65 (1965), qui est aussi un peu son 8 ½ puisqu’il dépeint le désarroi d’un cinéaste désinvolte et son rapport avec les femmes. Par la même occasion, il emprunte un acteur au Shadows de Cassavetes (Ben Carruthers), ce qui ancre encore plus sa proximité avec la modernité cinématographique.
Pourtant, Amour 65 n’a rien d’un pensum branché (sixties) et témoigne d’une constante liberté de ton et de narration ; on passe du coq à l’âne, de la ville à la campagne, d’une relation amoureuse à une scène de tournage). La mise en scène, tout aussi inventive et disparate, joue des échelles de plan, des ellipses, du filmage erratique, des disparités du montage… La routine du héros artiste, errant sans cesse de lieu en lieu, passant d’une personne à une autre, donne une impression de road movie circulaire, préfigurant assez ce que sera le cinéma de Wim Wenders, dix ans plus tard…
Widerberg a le don de changer de registre, et presque de style, de film en film. Son deuxième long métrage, Le Quartier du corbeau, situé dans les années 1930 à Malmö, ville natale du cinéaste, a des accents quasi néo-réalistes. Une œuvre autobiographique où un fils de prolétaire rêve de devenir écrivain (ce fut la première vocation de Widerberg). Vie de famille assez accablante : père alcoolique, mère s’escrimant pour joindre les deux bouts. Le tout situé dans une cité pittoresque dotée d’une immense cour, qui évoque l’habitat anglais de l’époque.
Un film un peu plombé par son abondance de dialogues, qui accentue son statisme, mais qui possède une saveur indéniable, due au tournage dans des lieux réels et à l’intégration d’habitants du cru au casting. En deux films tournés à deux ans de distance avec certains des mêmes acteurs, Widerberg déploie un spectre incroyablement étendu, qui va de l’enfer presque concentrationnaire du monde ouvrier aux élucubrations pop d’un artiste en roue libre. Ceci en intégrant l’un à l’autre : dans Amour 65, le cinéaste ne tourne qu’une scène brève : elle se passe dans une usine où un ouvrier est interprété par l’acteur principal du Quartier du corbeau, Thommy Berggren. Elégante mise en abyme, typique de ce cinéaste ouvert et versatile.
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