Les pérégrinations pleines de furie d’un jeune albinos tanzanien persécuté dans son pays. Puissant.
Des films sur la différence, sur le fossé entre soi et les autres, il en existe des milliers, mais combien d’entre eux font de ce fossé un abîme aussi vertigineux que White Shadow ? Car ici la différence ne pourrait pas être plus nette (du blanc au noir, tout bonnement), et elle sème la mort.
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On y suit le jeune Alias, tanzanien et albinos, qui de par sa maladie s’expose à une terrifiante tradition de sorcellerie faisant de lui un paria et conférant à ses bras, ses jambes, ses organes des propriétés médicinales rares – croyance très lucrative, puisque son seul cœur s’échangerait pour 5 000 dollars sur le marché clandestin. On croirait entendre le pitch d’un slasher exotique, d’une mixture de thriller gore et de world cinema, pourtant la trame de White Shadow s’inspire d’une situation bien réelle (71 morts recensés en Tanzanie entre 2006 et 2013).
Noaz Deshe, qui n’est pas du coin et a découvert la persécution rituelle des albinos à l’occasion d’un voyage professionnel, a des prédécesseurs dans la reconstitution filmée d’une Afrique sanglante et barbare (notamment au Rwanda). Mais il se démarque d’eux en prenant contact avec cette réalité par le biais d’un cinéma halluciné, comme possédé par le démon. Son film plonge viscéralement dans les scènes les plus violentes (il s’ouvre même sur l’une d’entre elles, avec un meurtre de nuit à la machette) et fait baigner le sang, la fuite et la survie dans le même défilement cauchemardesque d’images.
Car tout autant qu’il documente les horreurs de l’occultisme, White Shadow fait corps avec elles. On y voit beaucoup de chair : chair des hommes qui s’entretuent, chair des bêtes qui accompagnent les humains dans une grande chaîne d’abattage rituel, d’ésotérisme sauvage – où d’une poule noire qu’Alias vide de ses entrailles lors d’un rite spirituel à un cœur d’albinos brandi par un sorcier, un même fleuve de sang semble couler.
Et quand le corps véritablement fascinant de ce jeune garçon (qui s’ajoute à un certain albino power en pleine ascension, avec notamment le mannequin Shaun Ross) court pour échapper à la mort, c’est bien la question de la différence qui universalise le film de Noaz Deshe, l’élargit jusqu’à nous. Comme si l’albinisme d’Alias pouvait valoir comme métaphore absolue, incarner totalement la condition des intouchables. C’est cet élargissement qui rend White Shadow réellement dévastateur : on n’avait encore jamais dû, pour s’extirper de sa différence, faire à ce point brûler la rage et la folie.
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