L’enquête d’un journaliste algérien sur d’anciennes révoltes oubliées devient une odyssée captivante et labyrinthique. Un coup de maître.
ça va finir par se savoir, Tariq Teguia est l’un des meilleurs cinéastes en activité.
Après les superbes Rome plutôt que vous et Inland, et alors
qu’une rétrospective à Beaubourg lui est en ce moment consacrée
(avec ses courts et moyens métrages), sort ce Révolution Zendj,
film splendidement inspiré de bout en bout.
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On y suit le trajet de Ibn Battuta, journaliste qui voyage du sud algérien jusqu’à l’estuaire du Tigre, à la recherche des traces de révoltes oubliées des VIIIe et IXe siècles (les tribus Zendj du titre). Sur sa route, il passe par Beyrouth, où il croise Nahla, jeune femme palestinienne qui recherche les traces de son père, militant nationaliste, et monsieur Prince, un businessman américain qui fait des affaires en profitant des désordres du monde.
Sous la férule de Teguia, ce récit est elliptique, diffracté, flottant, troué de points de suspension. Le cinéaste est un formaliste plutôt qu’un illustrateur d’histoires. Du premier au dernier plan, Révolution Zendj est une affaire visuelle à la fois très composée et très vivante, un travail sonore admirable : la bande-son, entre mille sortilèges, fait jaillir une chanson du MC5 (Ramblin Rose, de l’album séditieux Kick out the Jams), ou à tel autre moment la voix de Jean-Luc Godard. Teguia est d’ailleurs parfois godardien, notamment dans ces scènes où des hommes d’affaires américains discutent et traînent dans des hôtels. La beauté du godardisme de Teguia, c’est qu’il ne semble jamais citationnel mais s’inscrit au contraire très harmonieusement dans les flux du film.
Révolution Zendj est aussi un brassage de genres, tour à tour odyssée, film d’aventure, film politique, thriller, carnet de voyageur, et son auteur s’y montre aussi à l’aise pour filmer de façon captivante des villes et des déserts, des appartements et des rues, des corps et des visages, des paysages intérieurs et extérieurs. Au cours de ce voyage historique et géographique à travers le monde arabe, Teguia semble prendre la mesure mélancolique de ces divers espoirs déçus : le panarabisme, le nationalisme palestinien, les printemps arabes n’ont pas réussi, et seuls les affairistes américains semblent profiter de ces ruines politiques.
Que peut faire un cinéaste (Teguia), un journaliste (son personnage alter ego) ? Voyager, filmer, documenter cet état du monde, lui donner une forme poétique, aller chercher au fin fond de l’histoire et du Tigre les traces de révolutions anciennes qui permettront peut-être de se ressourcer, de repenser un nouveau départ.
L’inspiration révolutionnaire peut aussi se trouver ailleurs. Le film passe par la Grèce et s’y termine, dans un chaos de mouvement, de sons, de formes rougeoyantes. La Grèce, berceau de la philosophie et de la démocratie, la Grèce contemporaine d’avant la victoire de Syriza qui se révoltait contre l’austérité imposée par l’Europe.
Révolution Zendj est un film poétique, sensoriel, d’une esthétique toujours inspirée et stimulante, toujours en mouvement, jamais figée, un film sur la permanence de l’idée révolutionnaire hier et aujourd’hui, ici et ailleurs. Avec peu de moyens, beaucoup de travail et de temps, et surtout pas mal de talent, Tariq Teguia atteint une beauté saisissante.
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