Le peuple marocain ne décolère pas après la grâce accordée par erreur à un pédophile espagnol par le roi Mohammed VI le 30 juillet. Le chanteur du groupe marocain Hoba Hoba Spirit et chroniqueur Reda Allali a suivi le DanielGate sur les réseaux sociaux : entre “honte” et “ironie”.
Hier encore, ils étaient des milliers à manifester à Casablanca. Ce mouvement d’indignation fait suite à la décision du roi Mohammed VI de grâcier, mardi dernier, 48 prisonniers espagnols dont Daniel Galvan (63 ans), condamné en 2011 à 30 ans de prison pour des viols commis sur onze mineurs. La réaction de Réda Allali, leader du groupe Hoba Hoba Spirit et chroniqueur au journal Tel Quel.
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Daniel Galvan est actuellement en « détention préventive » en Espagne et pourrait être extradé vers le Maroc. Comment avez-vous réagi lorsque vous avez pris connaissance de l’affaire ?
De nombreuses rumeurs ont été colportées sur le Net, alors au début, j’ai préféré ne pas y croire. C’est quand des amis ont commencé à réagir sur Twitter que j’ai réellement pris conscience de la chose. Il n’était pas possible, selon moi, que notre système, avec ses défaillances, ses incohérences et ses moments parfois burlesques, puisse en arriver là. J’étais révolté. C’est lamentable. J’ai honte de ce système qui, à défaut d’être soutenu et encouragé, est toléré par une partie des Marocains.
Vous insistez sur le rôle des réseaux sociaux pour exposer publiquement l’erreur du cabinet royal. Sont-ils devenus, selon vous, une plateforme de protestation privilégiée ?
J’ai beaucoup suivi le déroulement des évènements sur le Web et j’ai moi-même participé aux échanges. Le peuple marocain a réussi à créé un buzz suffisant pour que Mohammed VI revienne sur sa décision. Twitter est devenu le lieu d’une protestation pleine d’humour et d’ironie. Sans insulte – donc difficilement répréhensible pénalement, ni clash frontal. Beaucoup de lignes rouges ont été franchies sur la Toile ces derniers jours, dans un pays où les décisions royales sont incontestables et non soumises au débat. Ce dernier s’est donc improvisé sur le web et a conduit à décrédibiliser une fois de plus les relais du pouvoir.
Sur le Net, on parvient à établir un dialogue entre la rue et le roi, là où ses intermédiaires échouent. On se rend bien compte aujourd’hui que la classe politique marocaine est aux ordres, incapable de remettre en cause une décision aussi absurde. Les médias officiels ont quant à eux attendu l’annulation de la grâce pour commencer à relayer l’information. Ils – nos représentants et les médias officiels – ont applaudit le revirement du roi mais pas ceux qui ont contribué à faire rectifier son erreur.
Le grand perdant aujourd’hui ne reste-t-il pas le pouvoir marocain ?
Tout le système est remis en cause. Bien sûr que cette grâce a été une erreur, une affreuse erreur. Mais elle symbolise la dérive d’un système. Celui d’un pouvoir centralisé et d’une Cour un peu obscure au cabinet royal, que l’on n’a pas choisi et qui fait ce qu’elle veut… jusqu’à négocier ce genre de décision avec des pots-de-vin. Le business des grâces royales n’a rien de nouveau : on sait tous que pour remonter dans la liste des grâces, il faut allonger des dirhams à je ne sais quel personne. Le DanielGate est symptomatique d’une corruption généralisée qui conduit à des bugs horribles.
Vous dénoncez les dérives d’un système que le Maroc semble ne pas avoir eu le temps de remettre en cause en 2011, contrairement à ses voisins tunisien et égyptien…
Si vous voulez établir un lien avec le printemps arabe, il faudrait parler de notre mouvement du 20 février qui, sans avoir appelé à un changement radical de régime, a posé sur la table le problème de la gouvernance marocaine : peut-on régner seul et gouverner à la fois ? Je suis convaincu que non et la question se pose de nouveau aujourd’hui. Ce qui fait toute la différence aujourd’hui, c’est le sujet : la pédophilie est un tabou planétaire. Les gens y réagissent de façon épidermique : on a tous des gosses autour de nous, on a les nôtres. C’était sûr que la presse internationale allait relayer l’information. Et ça, notre système, il n’aime pas du tout.
Vous n’imaginez pas l’impact politique que ce genre de scandales peut avoir lorsqu’ils éclatent dans notre pays. Le pouvoir ne supporte pas que l’on touche à l’image du Maroc comme pays stable, à cheval entre la modernité et la tradition, musulman mais pas extrémiste…Tout ce marketing “culturelo-touristico…politique”. Ici, on appelle cela la “politique de la pastilla”: On invite des représentants politiques, on les emmène à la Mamounia – un hôtel très réputé de Marrakech… Et là, on arrive à la remettre en cause avec une histoire de pédophile parce que c’est énorme, c’est injustifiable. Le 20 février, il y a eu des centaines de manifestations, des artistes et des civils tabassés… ça n’avait pas fait un tel bruit.
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