Dans le dernier film du réalisateur, les kids du trocadéro s’aiment, se défoncent et baisent à tout-va.
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Depuis sa présentation en sélection parallèle à la dernière Mostra de Venise, The Smell of Us s’est forgé une petite réputation d’infréquentable. Critiques calamiteuses, distributeurs aux abois, abandonnant les droits du film dans un geste quasi désespéré, échos d’un tournage anarchique conclu par une grève des acteurs et la réécriture précipitée du scénario : le nouveau méfait de Larry Clark annonçait a priori une sérieuse crise d’inspiration.
Mais la rumeur envoya un peu trop vite le vieux maître de Tulsa à la retraite, tant The Smell of Us n’a au final rien de l’accident présagé. Au contraire, on parlera plutôt d’un film-somme, du testament nu et fragile d’un cinéaste qui ravive les premières flammes de son œuvre punk tout en s’abandonnant à un horizon plus autobiographique et introspectif. Débarqué à Paris pour son premier film en langue étrangère, Clark reste ici en apparence fidèle à son éternel sujet (les sociabilités adolescentes en milieu clandestin, qu’il restitue depuis les années 70) et à sa méthode, alliant documentaire et fiction dans une confusion vertigineuse.
Revoilà donc le portrait d’une bande de kids marginaux, Math, JP, Pacman et les autres, des skateurs à peine majeurs qui traînent en meute sur le parvis du Trocadéro, baisent salement et se crament le cerveau à la dope dans des caves miteuses. De jeunes garçons tellement paumés qu’ils décideront, pour des raisons laissées obscures, de vendre leur corps sur des sites d’escorts au profit d’hommes et de femmes parfois mal intentionnés, se laissant peu à peu aspirer dans un cycle nocif de débauche et d’exploitation.
A ce décor plutôt balisé, tableau pointilliste d’une jeunesse haut perchée, The Smell of Us ajoute un intrus, qui donne sa force au récit : Larry Clark lui-même. Le cinéaste, qui ne s’était jamais autant mis en scène, est partout présent dans le film, devant et derrière la caméra, comme une ombre maléfique autour de laquelle ce petit monde adolescent gravite et se brûle. Il est ce clochard infâme, appelé Rockstar, qui se pisse dessus et se traîne au sol ; ce client libidineux qui lèche les pieds d’un prostitué en meuglant de plaisir ;et peut-être ce jeune filmeur, Toff, qui accompagne la meute et documente chacun de ses exploits. Trois faces d’une même autobiographie complexe et torturée, un retour sur soi où Larry Clark se met à poil, révèle ses angoisses et témoigne de l’effroi que lui provoque son propre vieillissement.
Ce n’est pas la première fois que l’auteur aborde la question de l’âge (Ken Park, déjà, dressait le portrait de parents coupables) mais jamais il n’avait fait preuve d’autant de violence ni de cruauté, jamais il n’avait paru si blessé par le temps. Et le prodige de son nouveau film est que ce constat ne débouche pas sur une lamentation passive ; il agit à l’inverse comme un puissant moteur de désir.
Se détester, pour Larry Clark, c’est aimer encore plus fort ses modèles adolescents, dont il saisit la jeunesse avec une sensualité inouïe, exaltant leurs odeurs, leurs langues et leurs beautés immaculées. The Smell of Us n’est ainsi qu’une affaire de corps qui s’affrontent : peau vierge et blanche des kids, filmés comme des statues grecques à la faveur d’une majestueuse scène de club, contre peau écaillée des vieillards auxquels le réalisateur donne des airs de monstres irréalistes, de vampires ou de goules assoiffés de sang neuf.
Libéré des préoccupations sociologiques qui ont parfois grevé ses films, Larry Clark sculpte les formes et retrouve ici ses premiers instincts photographiques, son statut d’esthète de la jeunesse. Même son recours aux nouveaux régimes d’images (minicaméras, Skype, téléphones portables, etc.) ne sert pas un quelconque supplément de réalisme mais produit d’autres expérimentations formelles, abstractions pixellisées épousant les corps adolescents. D’autres visions éclatantes issues du cerveau troublé d’un cinéaste qui conclura dans un grand brasier le plus vif et juvénile des films testamentaires.
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